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SITUATION DE L’ESPAGNE.

Ce qui prouve que la franchise a présidé aujourd’hui à la confection des listes comme à toutes les opérations électorales, c’est que, dans plusieurs provinces, la lutte a été réelle. Le parti parlementaire n’a pas triomphé partout, et, là où il a vaincu, ce n’a pas été sans combattre. Une preuve plus décisive encore en faveur de la sincérité des opérations, c’est le nombre des électeurs qui y ont été appelés et de ceux qui y ont pris part. Avec des nombres aussi considérables, tout triage est impossible.

Il n’a point encore été fait de statistique complète des élections ; mais on peut évaluer dès à présent d’une manière approximative le nombre des électeurs qui ont été inscrits à six cent mille au moins. C’est presque trois fois plus d’électeurs qu’en France, où la population est pourtant plus du double de celle de l’Espagne, et où les richesses et les lumières sont bien autrement répandues. Si les mêmes conditions de cens donnaient en France l’électorat, on peut affirmer que le nombre des électeurs s’élèverait chez nous à trois millions. L’Espagne n’est pas loin, comme on voit, du suffrage universel. Sur ce nombre de six cent mille électeurs, quatre cent mille environ ont voté. C’est beaucoup plus qu’on n’en avait jamais vu. Dans la province de Lugo, sur 26,524 électeurs inscrits, 21,214 sont venus voter ; le premier des élus, don Ramon Saavedra, n’a pas eu moins de 19,800 voix. Dans la province des Asturies, sur 21,720 électeurs, 14,693 ont pris part au vote ; les deux principaux élus, MM. Pidal et Mon, ont eu plus de treize mille voix chacun. En général, la moyenne des majorités obtenues a été de cinq à six mille voix. Ces chiffres contrastent singulièrement avec ceux des élections qui ont eu lieu sous l’administration des ayacuchos. Alors ce n’était qu’une faible majorité qui prenait part au vote ; aujourd’hui c’est la nation presque tout entière qui s’est pressée autour de l’urne du scrutin. On ne peut contester que les nouveaux choix ne soient l’expression du vœu national. L’élection a été enfin en Espagne une vérité.

Qui peut dire ce que serait en France le résultat d’un mouvement électoral qui remuerait de pareilles masses ? Malgré les progrès que l’esprit public a faits depuis quelques années, malgré la supériorité de notre civilisation et notre plus longue habitude de la liberté, est-on bien sûr que des choix faits par plusieurs millions d’électeurs donneraient des résultats très rassurans pour l’ordre constitutionnel ? Eh bien ! tel est en Espagne le besoin d’un gouvernement, telle est la force des instincts conservateurs même dans la foule, que les can-