Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/257

Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

neuf et d’acceptable sans taire ce qui lui semblait un peu fort et outré. Il faisait tout cela par voie d’exposition, presque de concession, d’un air d’ignorer toutes les hardiesses qu’il commettait et qu’il appuyait. On y pouvait voir sous la candeur du critique un peu de cette malice ingénieuse et couverte qui fait la dose requise, et que Bayle, le premier, a si bien su mélanger. Mais, quand il s’attaquait au faux classique, aux vieilleries modernes, à ces usurpations de succès qui tranchaient du légitime, oh ! alors, M. Magnin y allait moins doucement : il savait le fort et le faible de la place, il ne frappait pas à côté. Sa plume acérée a donné, à ce qu’on appelle la littérature de l’empire, bon nombre de ses plus cruelles blessures. S’il a eu un grain de passion en excès, ç’a été sur ce point-là.

Mais, en général, M. Magnin a une qualité à lui, quand il traite d’un sujet et d’un livre, une qualité que possèdent bien peu de critiques, et qui est bien nécessaire pourtant à l’impartialité, c’est l’indifférence. Je vais me hâter de définir cette espèce d’indifférence qui n’exclut pas du tout la curiosité et la conscience, ces deux vertus du critique, et qui même leur laisse un plus libre jeu. Voltaire l’a très bien remarqué : « Un excellent critique serait un artiste qui aurait beaucoup de science et de goût, sans préjugés et sans envie. Cela est difficile à trouver[1]. » Il ajoute encore : « Les artistes sont les juges compétens de l’art, il est vrai ; mais ces juges compétens sont presque tous corrompus… Il y a environ trois mille ans qu’Hésiode a dit : Le potier porte envie au potier, le forgeron au forgeron, le musicien au musicien. » Sans doute un artiste, sur l’objet qui l’occupe et qu’il possède, aura des vues perçantes, des remarques précises et décisives, et avec une autorité égale à son talent ; mais cette envie, qui est un bien vilain mot à prononcer, et que chacun à l’instant repousse du geste loin de soi comme le plus bas des vices, il l’évitera difficilement s’il juge ses rivaux ; sa noble jalousie, appelons ainsi la chose, le tiendra éveillé aux moindres défauts, et il sera prompt à voir et à noter ce qu’involontairement il désire ; ou bien, si la générosité du cœur s’en mêle, il ira au-devant du défaut, il passera outre et tombera alors dans des indulgences extrêmes, dans des libéralités qui ne sont plus d’un juge. Je l’ai toujours pensé, pour être un grand critique ou historien littéraire complet, le plus sûr serait de n’avoir concouru en aucune branche, sur aucune partie de l’art (à moins d’avoir excellé dans toutes) ; car autrement on porte

  1. Dictionnaire philosophique, article Critique.