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L’ÉGLISE ET LA PHILOSOPHIE.

velle. L’Université eut jusqu’à la chute de l’empire une existence laborieuse et paisible ; on la vit alors raviver les saines traditions sociales et littéraires, et remettre en honneur les éternels modèles du goût et de la raison. Elle parcourut cette première phase, si honorable et si utile, avec une activité modeste et sans discussion avec personne. Quand vint la liberté, la polémique parut. Durant la restauration, l’Université eut à se défendre contre la puissance ecclésiastique, et fut souvent opprimée par elle. Toutefois, les plus avisés de ses adversaires ne voulaient pas la détruire, mais la dominer, et sur ce point, comme sur bien d’autres, il y avait division parmi les hommes qui se disaient particulièrement appelés à sauver la monarchie et la religion. Les plus exaltés demandaient à grands cris l’anéantissement de l’Université, parce qu’ils voulaient transférer l’enseignement de l’état à l’église. L’Université avait donc alors à lutter contre des inimitiés implacables, et elle ne trouvait souvent dans les hautes régions du pouvoir qu’une bienveillance douteuse. Aujourd’hui la situation est différente : plus forte sur un point, elle est plus exposée sur un autre. L’Université a tout l’appui du gouvernement, mais elle a en face d’elle des adversaires plus nombreux et plus redoutables. Ce n’est plus seulement une coterie, c’est l’église elle-même qui descend dans l’arène. L’Université, cette autre église laïque, a, nous le croyons, toutes les forces nécessaires pour résister avec honneur, avec supériorité, si elle comprend qu’elle doit s’identifier de plus en plus avec l’esprit du siècle, et tenir plus haut que jamais, tout en rendant à la religion les respects qui lui sont dus, le drapeau de la science humaine.

Entre le catholicisme et la philosophie, le débat est rouvert. Continuer sa marche avec fermeté, prouver sa force par des développemens féconds, affirmer dans toute leur étendue les droits et la puissance de la raison humaine, sans prendre contre les croyances et les interprètes de la religion une attitude hargneuse et hostile, voilà, selon nous, quelle doit être l’ambition et la conduite de la philosophie. Ni exagérations, ni emportemens : ce serait ressembler à certains dévots par leur plus mauvais côté, par le fanatisme ; mais aussi pas de faiblesse, pas de concessions pusillanimes : la pire de toutes les hypocrisies serait l’hypocrisie des philosophes. C’est aux représentans de l’esprit philosophique de ne pas amoindrir ou éluder les problèmes, de ne reculer devant aucun des devoirs qu’imposent la recherche et le culte de la vérité. Autrement, sans trouver grace devant ses adversaires, on ruine sa propre cause.