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Les esprits vraiment politiques doivent juger la question qui se débat entre l’état et l’église sans passion comme sans faiblesse. L’église, il faut le reconnaître, agit et parle d’après un plan qui est bien arrêté, et qui contredit sur certains points les maximes et la conduite qu’elle a suivies dans le siècle dernier. Voyez Rome : Clément XIV avait supprimé les jésuites ; Pie VII les a rétablis. La papauté est revenue à sa politique du XVIe siècle, et il est permis d’affirmer qu’elle n’en déviera plus. Elle a repris à son service les jésuites comme une milice sainte ; elle les a adoptés de nouveau comme une autre tribu de Lévi destinée à marcher à la tête des peuples catholiques. Regardez l’église de France : elle est tout-à-fait entrée dans les desseins de Rome, elle a ouvert ses rangs pour y recevoir la compagnie de Loyola, et c’est avec elle et par elle qu’elle espère remporter d’éclatantes victoires. Il est des personnes qui ont la bonhomie de penser qu’on devrait chercher à ramener l’église à des sentimens plus sages, qu’il faudrait lui remontrer combien elle se compromet d’une façon fâcheuse, en acceptant avec les jésuites une étroite solidarité. Que ces personnes, dont les intentions sont du reste estimables, soient bien convaincues que ce sermon qu’elles voudraient faire au clergé resterait sans effet ; elles croient qu’avec les jésuites l’église se perd, mais l’église est persuadée qu’elle se sauve.

Nous nous plaçons ici en dehors de toute polémique et ne considérons que les faits. L’église, la charte à la main, demande à l’état la liberté d’enseignement : l’état doit la lui donner, mais non pas comme une dupe. Aussi les hommes et les autorités politiques ne sauraient perdre de vue qu’il ne s’agit de rien moins que d’un débat nouveau entre la puissance temporelle et la puissance spirituelle.

La liberté est la base de notre ordre social et la médiatrice nécessaire entre toutes les opinions, entre tous les droits, entre les minorités et les majorités, entre les différens cultes et l’état. Elle est écrite non-seulement dans la charte, mais dans tous les esprits, car elle est pour tous la condition de la vie. Supprimez un instant par l’imagination la liberté au sein de la société française : dans quel chaos tomberions-nous ! La liberté, c’est la lumière, car à sa clarté tout le monde peut trouver sa place ; c’est l’ordre, car par elle seule les contraires peuvent vivre à côté les uns des autres. Quand on demande à l’état l’application de ce grand principe sur un point nouveau, cette pétition lui signale des tendances et des ambitions nouvelles qui veulent se satisfaire : c’est ce que nous voyons aujour-