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proscrire, il parla même en leur faveur, en démontrant qu’il fallait tenir la balance égale entre les molinistes et les jansénistes. Cet inépuisable railleur avait une sensibilité naturelle et vive, féconde en bons mouvemens. Quand il s’était bien moqué de ses adversaires, il leur pardonnait volontiers.

De nos jours, nous sommes moins gais et peut-être moins généreux. Demandez à M. Michelet si, lorsqu’il s’agit de jésuites, il veut rire ou se calmer. « Ce que l’avenir nous garde, Dieu le sait !… Seulement je le prie, s’il faut qu’il nous frappe encore, de nous frapper de l’épée. » Telles sont les premières paroles par lesquelles M. Michelet ouvre sa campagne contre les jésuites : elles dénotent des préoccupations profondes et mélancoliques ; elles respirent une mystique tristesse.

C’est qu’effectivement M. Michelet a écrit et parlé au sujet des jésuites, agité par les impressions les plus pénibles. On ne peut méconnaître, en lisant ses pages brèves, d’un style amer et heurté, l’étonnement douloureux que lui ont inspiré les attaques dont il s’est vu l’objet. Lui qui se croyait des droits à la reconnaissance de l’église pour avoir mis en lumière l’art gothique et le moyen-âge, qui avait porté tout ce passé, comme il aurait porté les cendres de son père ou de son fils, c’était lui que l’outrage venait chercher ! Il y a dans cette surprise une respectable candeur. Voilà bien l’homme docte et solitaire qui dans le fond de son cabinet ignore le siècle au milieu duquel il vit. S’il avait pris parfois le loisir de regarder au dehors, il eût vu que dans notre âge rien n’était à l’abri de la calomnie, de l’insulte ; il eût reconnu que tout passe par cette épreuve, par ce baptême, les têtes les plus hautes comme les plus obscurs particuliers, les savans aussi bien que les politiques, la vertu non moins que le talent ; alors il eût trouvé naturel d’avoir sa part dans cette distribution des injures. M. Michelet n’a pas pris les choses avec cette expérience. Assailli pour la première fois, il s’est emporté, et il s’est mis à exercer contre ses adversaires des représailles extrêmes.

Nous pouvons parler en toute liberté des Jésuites de MM. Michelet et Quinet. La publication a réussi et le coup a porté, trop loin peut-être. Les deux auteurs ne s’étonneront pas que, tout en défendant le même principe, la liberté de l’esprit humain, nous ne partagions pas toutes leurs opinions. Le front de bataille est immense et comporte des positions diverses.

Entrant pour la première fois dans la polémique, M. Michelet s’y est lancé à corps perdu, et il s’est mis à combattre avec une anima-