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son nom s’élèvent contre l’esprit de notre siècle avec un ton plein d’aigreur.

Pourquoi ? C’est qu’en dépit de la situation honorable qu’ont faite à l’église les divers gouvernemens qui se sont succédé depuis le concordat conclu entre Napoléon et Pie VII, l’église ne peut se défendre de regrets douloureux en songeant à tout ce qu’elle a perdu. La révolution de 1789 trouva le clergé en possession de biens et de revenus considérables, et aussi de priviléges qui en faisaient le premier corps de l’état. Il avait la main partout, dans la vie civile, dans l’administration de la justice, dans l’éducation de la jeunesse, dans le conseil des rois. Aujourd’hui il n’y a plus de cardinaux ministres, non plus que d’archevêques prenant rang comme pairs ecclésiastiques après les princes du sang : les officialités n’existent plus, et la justice en France est la même pour tous. La vie civile a été soustraite à la suprématie de l’église, et l’homme peut naître, se marier et mourir, sous l’unique protection de la loi humaine. L’immense dotation dont jouissait le clergé avant 1789 a été remplacée par un salaire porté annuellement au budget des dépenses ; enfin l’église ne peut élever que ses propres lévites, et l’éducation de la jeunesse appartient à un corps laïque, à l’Université.

Et l’on s’étonnerait des regrets du clergé ! Il faudrait bien peu connaître les passions des hommes et l’esprit des corporations qui ont duré long-temps, pour ne pas pressentir qu’à ces regrets doit s’associer la résolution de réparer, autant que possible, toutes les pertes éprouvées. À peine tirée de ses ruines par le génie fondateur de Napoléon, l’église s’arma des concessions et des bienfaits qu’elle lui devait pour agrandir sa puissance, et l’empereur s’exprima plus d’une fois avec amertume sur l’ingratitude et l’ambition cléricale. L’église vit avec joie la déchéance de celui qui l’avait relevée, et elle mit toutes ses espérances dans le pouvoir des princes qui revenaient de l’exil. Pendant quinze ans, elle sembla confondre sa cause avec celle des Bourbons, et quand ils tombèrent à leur tour, après avoir paru un instant étourdie de leur chute, elle reprit sa marche. C’est le génie de l’église de ne songer qu’à elle et son égoïsme fait sa force. Elle se console aisément des catastrophes les plus lamentables, grace à l’intelligence particulière qu’elle croit avoir des impénétrables desseins de la Providence. Si tel prince a été précipité, c’est que sa perte était écrite : tout empire qui s’écroule proclame la grandeur de Dieu et de l’église. L’orgueil païen ne monta jamais plus haut.