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dans le même quart d’heure, de l’existence de Dieu et de l’Opéra Comique. Les Lettres Parisiennes n’ont pas cette variété discursive : c’est bien une suite de conversations faciles, mais où les bluettes, les babillages, les inutilités, tiennent presque exclusivement la place. Vous l’avouez spirituellement, vous êtes le juif errant de la frivolité. Résumer les Lettres Parisiennes, dire ce qu’elles contiennent, les suivre dans leurs infinis détours, serait une gageure impossible. On fixerait plutôt le pli fugitif qui ride la surface de l’étang, on arrêterait plutôt au passage le rayon qui fait jouer dans l’air mille atomes diaprés. Ces riens se dérobent à la critique, ces brillantes paillettes sont si menues, qu’elles s’échappent sous le poinçon. Comment voulez-vous disséquer ces périodes sautillantes sur les capotes de satin blanc et sur la révolution de Portugal ? Vous parlez si gentiment de cette robe de mousseline, que le désir, sans qu’on y pense, vient de vous en voir parée : elle vous siérait, ce semble, à ravir, et peut-être qu’elle serait là mieux encore et plus coquettement tirée qu’elle ne le paraît dans vos jolies phrases. Voilà l’inconvénient d’être femme et d’écrire ; quand vous récitez vos vers, vous avez envie qu’on dise : « Cela est beau, » tandis qu’on est toujours tenté de vous dire : « C’est vous, qui êtes belle ! » Ce qui n’empêche pas au surplus les tirades contre la pluie, les bouderies à l’automne, les petites moues au printemps, de tenir fort élégamment leur place dans les Lettres Parisiennes. Tout cela vraiment est raconté avec verve, et souvent Camille sait n’effleurer que du bout des pieds cette blonde moisson d’épis dont les glaneurs demain retrouveront à peine les restes. Le malheur est que la mode courante soit d’une si absolue indifférence pour les modes des années enfuies. Sans doute cela est dit à merveille, et on ne saurait mieux parler des charmans bonnets de l’an passé ; mais (ne l’avouez-vous pas vous-même ?) « à distance tous les bonnets se ressemblent. » C’est précisément la réflexion que se fera le public : le public lira vos railleurs feuilletons, si vous en laissez encore tomber de votre plume dédaigneuse ; mais peut-être vous priera-t-il de lui épargner ceux de la veille.

Mme de Girardin donne tant de conseils aux autres, et les applique si vertement, qu’elle nous en permettra deux ou trois en finissant. Nous ne cacherons rien de notre pensée. Il y a trois choses, selon nous, qui vont encore moins bien à une femme que le métier de critique et de journaliste, c’est la prétention, la politique et l’esprit de rancune. Or, je ne suis pas sûr que les Lettres Parisiennes soient complètement à l’abri de ces différens griefs.