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LETTRES PARISIENNES.

fausses allures de gentilhomme ! Entrant bravement dans la critique, comme Louis XIV au parlement, nous tapons vivement du pied, non plus avec nos bottes à l’écuyère, mais avec les mules les plus mignonnes du monde. On l’imagine d’ailleurs, nous continuons à parler de nous-même, au masculin, et c’est pour cela qu’il faut garder à la main cette grosse cravache, aussi peu lourde à porter, vraiment, que le plus petit éventail d’ivoire.

Ces feuilles légères auront-elles encore, ainsi réunies et rapprochées, le succès piquant qu’elles obtinrent une à une, à mesure que l’auteur les disséminait, sans avoir l’air d’y penser, à mesure que ses doigts distraits les roulaient avec coquetterie ? Nous n’osons l’espérer pour Mme de Girardin. Bouquet fané, parfum éventé, débris du bal de la veille, le nuage brillant qui passe, l’éclair qui sillonne un instant l’horizon, la vague qui s’élève et se brise, le geste animé de l’orateur que le sténographe oublie, l’oiseau qui vole, le sourire mourant sur une jolie bouche, voilà quelque peu l’histoire des Lettres Parisiennes, l’histoire de tout ce qui n’a pas de lendemain On peut, sans pédantisme, dire son mot latin au vicomte : c’est une licence qu’il se donne lui-même. Or, Juvénal parle quelque part d’une femme à qui il fallait des petits faits, des bruits, des nouvelles à toute force ; quand il n’y en avait pas, elle en inventait :

.....Famam rumoresque illa recentes
Excipit ad portas ; quosdam facit…

Assurément il n’y avait pas de courrier de Rome, quoiqu’il y eût, dit-on, des journaux romains ; mais le portrait de cette créature inquisitive, curieuse, âpre aux nouvelles, comme dit Mme du Deffand, n’est-ce pas un peu celui de la femme qui se risque à rédiger la chronique mondaine et les commérages d’une grande ville ? L’esprit a été prodigué dans les Lettres Parisiennes, l’esprit y est perdu, parce qu’il n’est presque jamais naturel. Mme de Girardin a quelque part un joli mot sur les enfans qui s’aperçoivent qu’on les regarde jouer, et qui exagèrent aussitôt leurs gentillesses. Cette réflexion est la meilleure critique qu’on puisse faire de son livre. Si je ne m’abuse, c’est l’auteur lui-même qui dit encore à un autre endroit : « Nous n’admettons aucune prétention. » À ce compte, il faudrait repousser l’ouvrage presque tout entier, car les rides viennent vite à des graces si passagères, et bientôt il ne reste précisément que des mines et des prétentions.

Joseph de Maistre dit que le propre de la conversation est de parler,