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LETTRES PARISIENNES.

mousse fugitive et pétillante de votre gracieux bavardage, et mieux encore, et surtout aux airs dégoûtés et précieux, à la fatuité parfaite des phrases sémillantes qui courent naturellement sous votre plume. Pourquoi donc aujourd’hui écarter d’une main décidée cette tapisserie légère ? pourquoi avancer indiscrètement votre blonde tête ? par là, vous perdez au moins un avantage : nous pouvions supposer que, comme celui de la belle fille de l’université de Padoue, votre joli visage rougissait. Une femme exerce toujours plus de séduction derrière la jalousie où l’œil la cherche. Ce galant pseudonyme du vicomte, cet aristocratique déguisement, avaient bien leur prix : il y a telle actrice en renom à qui les rôles de page ou de lansquenet vont à ravir. Un petit ton faquin et cavalier, toutes sortes d’agréables mutineries sont là de mise, et on les accepte. Caustique vicomte, les aiguillettes vous allaient mieux que les dentelles, et quelle idée vous est donc venue, de changer ainsi votre justaucorps svelte et pincé pour les plis d’une robe à ramages !

On sait comment, au milieu de la société confuse et déclassée qui sortit du mélange révolutionnaire, Mlle de Meulan se trouva, malgré elle, induite à la polémique des journaux. Malgré tout ce qu’une nature si bien faite put apporter, dans cette lutte active, de qualités sensées et sérieuses, elle ne s’abusait point sur « ce rôle de journaliste (je cite textuellement), le plus bizarre peut-être que puisse choisir une femme, si elle pouvait l’adopter par choix. » Et notez que, quand l’esprit délicat et judicieux de Mlle de Meulan concevait tous ces scrupules et n’acceptait qu’à contre-cœur la tâche ingrate, le fardeau de la critique, il ne s’agissait pourtant que de littérature. Si, du paisible domaine de l’intelligence, il lui eût fallu passer aux choses de la vie active, juger le monde et les cercles, toucher aux noms propres, entrer au vif dans toutes les questions du jour, croyez-vous qu’une personne si réellement distinguée, et qui mettait le tact avant tout, eût passé outre brusquement et se fût risquée à ces expéditions hasardeuses ? Le doute au moins est permis, car sa dignité eût pu lui paraître engagée. J’ai entendu plaindre bien souvent les maris des femmes poètes : combien cependant leur destinée semble douce quand on songe aux maris des femmes critiques ! Au moins, si la muse chante, on peut s’imaginer qu’on l’inspire ; si elle redit la passion de Corinne, on a le droit de se figurer qu’on est Oswald. Mais à côté d’une guerrière brillamment armée de pied en cap, quelle contenance faire ? Si on vous blâme, elle entonne vos louanges ; si on vous attaque, elle vous défend ; si vous combattez, elle accepte votre