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LETTRES PARISIENNES.

ment sur les moindres de ses dits et gestes, qu’adviendra-t-il en définitive ? Quelle sera la juridiction et où trouver une sanction dernière ? Voilà une petite difficulté à laquelle le feuilleton ne songe guère. Au fait, la chose lui est bien égale. Ne le voyez-vous pas qui passe et court au hasard, allant un train de poste, agitant ses grelots, sifflant son air moqueur, fouettant à grands coups sa phrase, et n’ayant après tout d’autre souci que d’arriver sans encombre à la fin de ses six colonnes : étape passagère d’où il repartira demain, frais, dispos, jaseur, l’œil au vent, pour recommencer de plus belle ses excursions sans but, ses divagations sans fin.

Le spectacle, au surplus, est divertissant : ce métier de guérillas, ces embuscades hebdomadaires de l’esprit, ces escarmouches bruyantes de la critique, un horion d’un côté, une caresse de l’autre, toute la petite guerre enfin du feuilleton divertit les oisifs comme nous, les simples contemplateurs de la vie littéraire. Qu’est-ce auprès de cela, si tout à coup, au beau milieu de l’arène, vous croyez reconnaître une allure de femme sous la cuirasse virile, une main blanche sous le harnais ? La curiosité redouble ; on se questionne, on parle : l’un dit oui, l’autre dit non ; les sages disent oui et non. À cette gentille prestesse en effet, à ce gracieux détour, à cette volubilité du glaive, à ces petites colères charmantes, Herminie se décèle, vous la devinez ; mais voici un coup assené avec violence, voici des airs d’autorité et de dédain et même un mot dur, je crois, fortement accentué ; évidemment, c’est un mousquetaire. Auquel croire, auquel entendre ? Chevalier d’Éon, chevalière d’Éon, vous nous avez, en vos premiers jours de campagne, causé toute sorte de scrupules, d’hésitations et d’embarras ! Aujourd’hui, toutefois, le doute n’est plus possible ; la cotte de mailles est détachée, la visière du casque se relève, et voilà que de beaux cheveux blonds se déroulent en tresses, et qu’il faut vite jeter un mantelet sur ces blanches épaules où la lourde armure n’a que trop laissé son empreinte. Allons, n’avez-vous point là le Tasse, que je redise avec le poète : « Herminie n’a pas craint l’appareil de la guerre et s’est armée pour y prendre part ! »

Il y a une phrase affreuse du plus grand prosateur du XVIIIe siècle à propos d’un sonnet de Mme Des Houlières contre la Phèdre de Racine ; je n’aurais pas assurément le mauvais goût de la citer, si elle ne se rencontrait en plein Siècle de Louis XIV, c’est-à-dire dans un livre que les enfans apprennent par cœur : « Une femme satirique, est-il dit, ressemble à Méduse et à Scylla, deux beautés changées en monstres. » Le mot est dur, et je ne puis l’accepter pour ma part