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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

dans un si grand vide. Il y a quelques années, M. Quinet disait de l’Allemagne qu’elle s’avançait scientifiquement dans le doute et processionnellement dans le néant ; aujourd’hui, cette procession, arrivée au terme du voyage, s’est mise tout à coup en branle avec une incroyable frénésie. Où est le nouvel Holbein qui peindra cette danse des morts ?

Pourquoi ai-je insisté sur cette situation de la théologie allemande ? C’est qu’en Allemagne tout vient de là ; c’est que l’esprit de l’Allemagne nouvelle, ce besoin de politique, cette soif du monde réel qui la travaille, tout cela sort de ces brusques mouvemens communiqués à la théologie par la pensée. L’Allemagne est, au fond, plus chrétienne qu’elle ne pense, et elle apprendra par cette expérience combien son esprit est inséparablement lié aux idées religieuses. Je sais un pays où la croyance peut disparaître pendant un certain nombre d’années ; malgré l’ébranlement profond qui en résulte, le peuple trouvera en lui certaines ressources, la fermeté, la netteté d’esprit, le bon sens, et jamais les encyclopédistes, dans leurs œuvres les plus impies, n’auraient pu perdre autant que les jeunes hégéliens le sentiment de la réalité. En Allemagne, si la théologie s’écroule, tout s’écroule avec elle ; si elle est frappée au cœur, c’en est fait, n’espérez pas la remplacer quelque temps par la force de l’esprit, par la fermeté d’une intelligence droite ; non, la pensée publique chancelle, et c’est assez d’un tel abandon pour lui renverser le sens.

Aussi, voyez quel résultat ils obtiennent aujourd’hui ! Ils ont fait cette révolution pour sortir de l’infini et prendre possession du monde réel, mais leur sacrifice est inutile. Ils n’ont pas eu le dédommagement qu’ils attendaient, car c’est précisément la réalité qui leur échappe le plus. Le principal caractère, en effet, de ce journalisme né des emportemens de la théologie nouvelle, c’est son ignorance complète de la vie, son impuissance à être quelque chose de grave, son agitation dans le vide, dans l’absence de toute idée sérieuse, le journalisme allemand s’est d’abord appliqué à répandre partout la haine de la France ; et de même que les théologiens de la jeune école hégélienne ne nous ont offert qu’une triste parodie des doctrines de Schelling et de Hegel, il est arrivé aussi que ses publicistes, depuis quelques années, n’ont fait que travestir misérablement les luttes de Goerres et de Fichte contre la France de l’empire. J’ai sous les yeux ce Mercure du Rhin, que Goerres rédigeait un an après la bataille de Leipzig ; voilà vraiment une œuvre grandiose ;