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sa famille, il analyse avec finesse l’imagination de Kerner, le jeu de cet esprit charmant, et on voit qu’il y voudrait surprendre la naissance de la légende et du mythe. Cette ingénieuse critique, où se cachent, non sans grace, les intentions les plus sérieuses, nous amène assez naturellement à la seconde partie du livre qui porte ce titre : De ce qu’il y a d’éternel et de ce qu’il y a de passager dans le christianisme. Ce petit traité est comme un résumé très clair, un catéchisme très intelligible des étranges doctrines de Strauss ; or ce système peut se réduire à ceci, que, toute l’histoire positive de l’Évangile et toutes les formes du christianisme étant renversées par la critique, il reste toujours quelque chose de supérieur à ces formes ; quoi donc ? L’idée qu’elles contenaient, l’idée de Jésus. Jésus a atteint le plus haut point religieux, attachons-nous à cette idée, unissons-nous à Jésus, faisons qu’il soit présent en nous ; là est le christianisme, tout le reste n’est que formes vaines. Ce système qui proclame en terminant le culte du génie, et qui ne voit guère plus que cela dans le christianisme, ne renferme pas assurément de très précieuses consolations ; mais comme on y trouve plusieurs pages d’une intention tout-à-fait religieuse, et que l’auteur s’efforce, quoique vainement, de réparer les ruines qu’il a faites, il arracha aux écrivains des Annales allemandes de véritables cris de fureur. Il n’en fallait plus douter, Strauss était atteint et convaincu d’orthodoxie ; son livre sur la vie de Jésus, qui avait commencé, il y a huit ans, le bouleversement de la théologie, mille plumes empressées le signalèrent comme une œuvre timide, et, ce qui est pour ce jeune journalisme la plus sanglante des injures, l’auteur fut traité de girondin. Les montagnards, ce sont M. Feuerbach, M. Ruge, surtout M. Bruno Bauer. Qu’est-ce à dire ? M. Bruno Bauer était, il y a huit années à peine, un des champions les plus ardens des doctrines opposées ; il attaquait les impiétés de Strauss avec une colère passionnée, et maintenant le voilà qui laisse Strauss bien loin derrière lui et qui lui reproche amèrement sa circonspection, tant la pensée publique est ébranlée dans ce pays ! tant les chutes sont rapides sur ce sol miné de toutes parts ! Aujourd’hui, où en sont-ils ? à quel degré sont-ils descendus ? et comment signaler l’état de la pensée allemande ? comment espérer seulement de le faire comprendre ? Je ne l’essaierai pas. Je ne sais point de termes pour décrire ce mélange de matérialisme repoussant et de mysticisme raffiné, de lourd pédantisme et de ridicule infatuation, de prétentions scholastiques et de frivolité impertinente. Je ne sais pas non plus expliquer un si grand bruit