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besoin ; il lui eût donné sans doute une direction plus heureuse ; ami et défenseur des idées libérales, il eût sauvé la liberté, que celui-ci anéantissait ; il eût transformé les principes de Hegel, bien loin de les pousser dans les excès par où ils périssent. La mort de M. Gans les privait donc d’un chef spirituel ; en même temps leur fortune temporelle s’écroulait, M. d’Altenstein allait mourir, et au roi leur protecteur succédait un prince beaucoup moins bien disposé que son père pour cette philosophie. Ainsi tout leur manquait à la fois, mais non pas l’ardeur pour défendre vaillamment leur maître. Le mauvais accueil qui attendait M. Stahl à Berlin, la promesse qu’il fit de n’attaquer jamais la doctrine de Hegel, tout cela prouvait que, s’ils ne devaient plus compter sur la protection du pouvoir, ils n’avaient pas perdu la sympathie d’un auditoire dévoué. La lutte s’engagea vivement. Dans les cérémonies publiques qui sont encore en vigueur dans les universités allemandes, à chaque fackelzug, les apostrophes éloquentes ne firent point faute, non plus que les plaisans épisodes. En voici un entre mille : c’est un mot très vif qui, prononcé par un homme grave, par un illustre théologien, donnera peut-être une idée de ces curieux débats. Dans une de ces fêtes d’université, au milieu des vivat que portaient autour de lui les élèves, M. Neander s’écria tout à coup : « Je porte un pereat au dieu de Hegel ! » Bien que cette parole vienne d’un homme si justement vénéré, ou, si l’on veut, par cela même, il est difficile de n’en pas sourire. Rien n’eût empêché M. Marheinecke, M. Rosenkranz, ni surtout M. Hinrichs, de porter le même toast au dieu de M. Neander : c’eût été une guerre des dieux comme dans l’Iliade, et qui sait si on n’eût pas entendu quelque part ce rire immense dont parle Homère ? À quelque temps de là, M. Werder fit une réponse éloquente. M. Werder est le plus jeune de tous ces jeunes docteurs, il est aussi le plus fervent et le plus brillant ; il sait introduire dans les formules nues de Hegel le souffle poétique qui l’anime, et, bien mieux que la froideur impassible de M. Marheinecke ou de M. Gabler, c’est sa parole qui ranimerait l’attention de la foule, si elle manquait à ces débats. Il disait donc à ses élèves, qui lui donnaient une fête aux flambeaux : « Je ne porterai point de pereat, ce qui est mauvais contient son pereat en lui-même ; mais un vivat, je porterai un vivat à l’Esprit, à Dieu, à Dieu en nous, à l’Amour, à la libre pensée… Schelling va venir parmi nous : réjouissons-nous des honneurs accordés à ce grand homme ; il faut qu’il soit reçu ici comme un roi, car c’est une tête sacrée par Dieu (Denn er ist ein gottgeweihtes Haupt). C’est lui qui le premier