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moine extatique, Fessler, qui est allé, son extase finie, prêcher le protestantisme en Russie et y mourir, dans ces derniers temps, la régularité savante de Grillparzer, l’imagination parfois assez éclatante de Nicolas Lenau, l’élégance trop affectée de Sedlitz, le talent ferme et gracieux et la libre pensée d’Anastasius Grün, ne constituent pas, malgré des mérites réels, une école distincte qui appartiendrait vraiment à l’Autriche ; c’est le reflet lointain d’une poésie qui a grandi ailleurs.

L’aspect moral de Vienne est donc singulièrement inanimé. Serait-on injuste envers ce pays, si on se le représentait comme une ancienne famille noble de Bretagne ou d’Anjou, restée fidèle, par impuissance autant que par tradition, aux erremens des temps passés ? elle s’est retirée dans ses riches domaines, et elle les administre avec une rare sagesse ; son existence est toute patriarcale ; le père est grave et débonnaire ; les enfans, heureux et insoucians, ignorent le siècle et la société où les a placés le hasard. J’ai vu en Allemagne bien des personnes qui ne voulaient pas reconnaître cet abaissement de l’Autriche, cette démission forcée qu’elle donne. C’était surtout, je le répète, piété et tendresse filiale. Ils auraient dit volontiers ce que disait Fénelon aux réformateurs de l’église : « C’est notre mère, il ne faut pas la traiter trop rudement. » Mais aujourd’hui, du milieu même de l’Autriche, qui n’était pas accoutumée à tant de hardiesse, des voix s’élèvent pour reprocher au gouvernement son incurie, et montrer à tous le mal qu’elle vient de produire. C’est qu’en effet la question a été tout à coup éclairée d’une lueur singulière, et le doute n’est plus permis. Ce n’est plus seulement la couronne de l’empire qui tombe de sa tête ; il s’agit de savoir si l’Autriche appartient encore à la société des nations germaniques.

Je ne dis rien de trop. Que se passe-t-il aujourd’hui chez les peuples slaves qu’elle gouverne ? Qu’est-ce que ce mouvement qui vient d’éclater du côté de la Bohême et de la Hongrie ? et l’insuffisance de l’Autriche pouvait-elle être plus manifestement révélée ? Ces populations, qui ont semblé long-temps toutes prêtes à suivre la direction de l’Allemagne, à parler sa langue, à s’associer à toutes ses idées, entreprennent de réveiller leurs antiques souvenirs, éteints depuis des siècles. Elles redemandent leur idiome national, elles recherchent les traces à demi effacées de leur littérature, elles veulent la relever et lui rendre la vie. Les Slaves de Bohême se reprennent avec un amour filial à leurs traditions passées ; ce ne sont plus seulement des chants nationaux qu’une érudition curieuse s’em-