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REVUE DES DEUX MONDES.

Comme un filet jeté, le soir, sur l’Océan,
Le poète a tendu son poème géant,
Qui, dans ses mailles d’or, entraîne au loin les villes,
Les royaumes, les bois, les montagnes, les îles,
Les Centaures blessés menant le premier deuil,
Les races au berceau, vagissant sur le seuil
Que gardent les lions sous les murs du Cyclope,
L’Ida qu’un noir encens d’un nuage enveloppe,
Et le grand Jupiter, source et fin des grands dieux.


Le Rhapsode en son œuvre emprisonnant les cieux,
Tout dans ses chants abonde et sous sa loi s’incline,
Tout, hormis la déesse à la voix cristalline,
Perle qui disparaît dès qu’il croit la toucher.
Divin miel enfoui dans l’ame du rocher.
« Imite-moi, dit-elle, et suis-moi dans mon antre ;
« Vers toi je tends les mains. Encore un pas ; viens, entre,
« Et sur le sable d’or marions nos deux voix. »
Le poète, aveuglé pour la seconde fois,
Dans son urne de marbre épand les rhapsodies,
Ithaque, Ulysse errant, flottantes mélodies.
Poèmes tout trempés des longs pleurs murmurans,
Que parmi les ajoncs nourris dans les torrens,
Avec la fleur marine et la conque épineuse,
Presse de ses cheveux la divine chanteuse.
L’oreille encor tendue aux promesses du bord,
Il meurt en imitant l’inimitable accord.
Il meurt, et sur le rhythme où les Muses l’entraînent,
Les générations l’une à l’autre s’enchaînent.
L’écho gardant l’écho des chants évanouis,
Les peuples ceints de myrte, en chœur épanouis,
Se tiennent par la main, et la flûte thébaine
Exhausse ses cent tours sur le front de Messène.
Cependant la phalange, à la robe d’acier,