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UN FRAGMENT INÉDIT DE PASCAL.

tres avant moi, au XVIIe siècle, des gens liés avec Port-Royal, qui connaissaient Pascal et sa famille, les bénédictins, lui ont attribué ce fragment. Ceci m’amène à vous dire où et comment je l’ai trouvé.

Il y a à la Bibliothèque royale une masse de manuscrits assez peu connus, un fonds très riche et peu exploité encore, venu de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qui, ayant été rassemblé, à ce qu’il paraît, après que tous les autres manuscrits de cette savante abbaye avaient été reconnus et classés, a pris de là le nom assez étrange de Résidu de Saint-Germain. Ce résidu contient des choses exquises. Guidé par un excellent catalogue, j’y rencontrai un manuscrit du XVIIe siècle, in-4o, no 74, portant au dos : Nicole, de la grace, autre pièce manuscrite. Sur la première page est l’indication des écrits que cet in-quarto renferme : 1o  Système de M. Nicole sur la Grace. 2o  Si la Dispute sur la Grace universelle n’est qu’une dispute de nom. 3o  Discours sur les passions de l’amour, de M. Pascal. 4o  Lettre de M. de Saint-Évremond sur la dévotion feinte. 5o  Introduction à la chaire. À la vue de ce titre : Discours sur les passions de l’amour, de M. Pascal, vous comprenez que je cherchai bien vite au milieu du volume ; j’y trouvai le même titre avec cette légère variante : Discours sur les passions de l’amour. On l’attribue à M. Pascal.

Jugez à quel point ma curiosité fut excitée. Ce discours avait une vingtaine de pages ; si donc il était authentique, c’était le plus étendu de tous les morceaux inédits de Pascal que j’eusse encore rencontrés. Ajoutez le prodigieux intérêt de la matière ! Dès la première phrase, je sentis Pascal, et ma conviction s’accrut à mesure que j’avançais. Les preuves surabondent pour quiconque a eu un commerce intime avec les Pensées. Ce discours est inachevé, et comme le manuscrit de l’abbaye de Saint-Germain n’est qu’une copie, et non pas un autographe, il y a deux ou trois phrases probablement mal copiées et qui sont défectueuses. Il est vraisemblable aussi que cet écrit n’était pas destiné au public, et que l’auteur n’y avait pas mis la dernière main ; mais partout on reconnaît celle de Pascal, l’esprit géométrique qui ne l’abandonne jamais, ses expressions favorites, ses mots d’habitude, sa distinction si vraie du raisonnement et du sentiment, et mille autres choses semblables qui se retrouvent à chaque pas dans les Pensées.

Veut-on une démonstration presque matérielle ? la voici. On lit dans ce fragment la phrase suivante : « Il y a de deux sortes d’esprits, l’un géométrique, et l’autre que l’on peut appeler de finesse. » N’est-ce pas là la pensée développée au paragraphe II de l’article 10, pre-