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REVUE DES DEUX MONDES.

Le plus simple est d’aller. Ce moulin par devant
Nous barre le chemin ; un vieux pont nous invite,
Et sa planche en ployant nous dit de passer vite :
On s’effraie et l’on passe, on rit de ses terreurs ;
Ce ruisseau sinueux a d’aimables erreurs.
Et riant, conversant de rien, de toute chose,
Retenant la pensée au calme qui repose,
On voyait le soleil vers le couchant rougir,
Des saules non plantés les ombres s’élargir,
Et sous les longs rayons de cette heure plus sûre
S’éclairer les vergers en salles de verdure,
— jusqu’à ce que, tournant par un dernier coteau,
Nous eûmes retrouvé la route du château,
Où d’abord, en entrant, la pelouse apparue
Nous offrit du plus loin une enfant accourue,
Jeune fille demain en sa tendre saison,
Orgueil et cher appui de l’antique maison,
Fleur de tout un passé majestueux et grave,
Rejeton précieux où plus d’un nom se grave,
Qui refait l’espérance et les fraîches couleurs,
Qui sait les souvenirs et non pas les douleurs,
Et dont, chaque matin, l’heureuse et blonde tête,
Après les jours chargés de gloire et de tempête,
Porte légèrement tout ce poids des aïeux,
Et court sur le gazon, le vent dans ses cheveux.


Sainte-Beuve.
Au Marais, ce 22 août.