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LA PEINTURE SOUS LOUIS XV.

l’œuvre. On ne peut oublier ces francs artistes venus de la Flandre avec la sève de leurs prairies : un grand peintre d’aujourd’hui, qui prend la beauté partout où il la trouve, a dans son cabinet, parmi les œuvres les plus aimées, la Femme nue du vieux Jacques Vanloo.

On connaît déjà l’histoire de la grande famille des peintres français, du moins jusqu’à la fin du XVIIe siècle, par les belles et savantes pages qui ont paru dans cette Revue sous le titre d’Eustache Lesueur. Au XVIIIe siècle, malgré la noble tentative des Vanloo, l’art sérieux se débattait et expirait, vaincu par l’école profane de Watteau et de Boucher. Après avoir étudié dans les Vanloo cette agonie de la grande peinture, n’est-il pas curieux de contempler dans Boucher le caprice qui règne en maître sans tradition et sans avenir ? Boucher, quel que soit le jugement, quel que soit le dédain des uns ou la bienveillance des autres, tient à jamais une place dans l’histoire de l’art. On ne peut nier ce peintre qui régna quarante ans accablé de fortune et de renommée, ce peintre protestant, à force de licence, contre les maîtres reconnus, ouvrant une école fatale à tout ce qui est noblesse, grandeur et beauté, mais non pas dénuée d’une certaine grace coquette, d’une certaine magie de couleur, enfin d’un certain charme inconnu jusque-là. David, qui fut son élève, se rappela toujours, au milieu de ses froids Romains, les souriantes images de Boucher ; Girodet lui-même, qui recherchait la grandeur et le sentiment dans la simplicité, n’a jamais dédaigné ce peintre. Il recueillait avec sollicitude tous ses dessins à la sanguine, il s’y arrêtait en rêvant comme à des souvenirs de folle jeunesse. « Nous avons vieilli, disait-il à ce gracieux spectacle des bergères de cour ; les retrouverons-nous jamais ? Ce sont des maîtresses trompeuses long-temps oubliées qui nous apparaissent dans les ennuis du mariage. » Il est de bon goût de nier Boucher, on accuse par là de grands airs sérieux ; mais, pour le critique de bonne foi, Boucher existe comme Louis XV existe pour l’historien.

Mignard, le premier en France, se laissa séduire par le mensonge de la grace mondaine que proscrit l’art. L’art n’admet que le mensonge qui s’appelle l’idéal, c’est-à-dire tout ce qui ennoblit, tout ce qui élève, tout ce qui poétise la vérité. Ayant à faire le portrait des dames de la cour, Mignard ne les peignit pas comme elles étaient, mais comme elles voulaient être. De là tous ces sourires qui ne sont pas de ce monde et qui nous enchantent, de là tous ces regards levés au ciel, mais encore humides de volupté. On comprend qu’il fût le plus applaudi entre tous les peintres de portraits ; il mentait, tout le