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de réduire le gérant d’une commandite au traitement modeste du directeur d’une société anonyme. Ce dernier, n’étant qu’un mandataire élu, un fonctionnaire révocable, assujetti au contrôle direct ou indirect de ses commettans, devra se contenter d’un traitement en rapport avec sa condition. Comme il ne représente pas la société, qu’il ne lui donne point son nom, que sa responsabilité personnelle n’est point engagée, il ne donne à la société que sa gestion : aussi tout ce qu’on doit rétribuer en lui, c’est son activité et son intelligence. Pour le gérant d’une commandite, il y a d’autres circonstances à considérer. Mettons à part les exagérations monstrueuses que certains gérans se sont permises dans la fixation de leurs propres traitemens ; laissons aussi les fraudes évidentes dont quelques autres se sont rendus coupables : il est clair que le gérant d’une commandite a d’autres droits que le directeur d’une société anonyme. Puisqu’il est investi d’une sorte d’omnipotence, il faut bien que son traitement soit en rapport avec l’autorité supérieure qu’il exerce. Il représente d’ailleurs la société, il lui donne son nom, elle se personnifie en lui, et toutes les facultés sociales deviennent en quelque sorte les siennes. Peut-il, dans une telle condition, se contenter du traitement qu’on ferait à un fonctionnaire contrôlé et révocable ? Serait-il même raisonnable de vouloir l’y renfermer ? Il est très vrai, d’ailleurs, que le gérant d’une commandite mérite un traitement plus fort, car sa responsabilité personnelle est engagée. Nous savons bien que dans le plus grand nombre des cas cette responsabilité est illusoire, la position du gérant n’offrant aucune garantie de solvabilité, surtout relativement à la grandeur de l’entreprise dont il se charge. Cette responsabilité n’est qu’une sorte de mensonge imposé par la loi ; elle n’ajoute rien au crédit de la société, elle n’est qu’une garantie trompeuse et vaine pour ceux qui traitent avec elle : elle ne profite donc à personne, ni aux associés, ni aux tiers ; mais en est-elle moins un fardeau pour celui qui l’accepte ? Pour être inutile à tout le monde, elle n’en pèse pas moins sur celui qui s’en charge, et d’autant plus lourdement qu’elle est moins en rapport avec ses moyens. Elle l’enveloppe, elle l’écrase, elle anéantit ses ressources personnelles dans le présent, et menace d’engager indéfiniment son avenir : situation fausse qu’une loi vicieuse engendre, où les dépenses sont prodiguées sans but, et les sacrifices consommés sans fruit. Oui, il y a là un sacrifice, inutile sans doute, mais pénible, et qui demande compensation. Que ce sacrifice profite ou non à ceux qui l’exigent, il doit être payé à celui qui le consomme, et il doit être payé, non en raison de ce qu’il vaut, mais en raison de ce qu’il coûte, c’est-à-dire très chèrement.

À ces motifs nous pourrions en ajouter bien d’autres, comme, par exemple, la nécessité d’intéresser fortement au succès d’une entreprise celui qui en porte les destinées entre ses mains ; mais il est inutile d’insister. Ainsi s’explique dans une certaine mesure l’exagération des avantages attribués aux gérans dans la plupart des sociétés que l’on a vues : concessions gratuites d’actions sous le nom d’actions industrielles, traitemens exorbitans, prélèvemens, primes, etc., toutes conditions fort onéreuses pour les sociétés, et