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Pythagore, mais jusque dans celui qu’il appelle avec un mélange de respect et de charme le docte et élégant Ovide. Puis, tout en goûtant ces savoureuses douceurs, il ne s’y laisse point piper ni amuser ; il veut le sens, le but sérieux. Si abeille qu’il soit, c’est à la ruche qu’il revient toujours. Un de ses plus vrais griefs contre Bacon, c’est qu’il le voit comme une plume de paon de la philosophie, un bel-esprit amoureux de l’expression et content quand il a dit : les Géorgiques de l’ame.

En cela même nous croyons que M. de Maistre se montre infiniment trop sévère. Et nous aussi, simple historien littéraire, il est un côté par lequel nous ne saurions assez vénérer Bacon et le saluer, comme notre premier guide et inventeur. Qu’on lise, au livre II de Augmentis Scientiarum, le chapitre IV, dans lequel, distinguant les différentes espèces d’histoire civile, 1o l’ecclésiastique ou sacrée, 2o la civile proprement dite, 3o la littéraire, il s’attache à dessiner le cadre de celle-ci, comme entièrement absente. « Et pourtant, dit-il avec cet éclat ingénieux qui lui est propre, l’histoire du monde dénuée de cette partie essentielle, c’est la statue de Polyphème à qui on aurait arraché son œil. » Tout le plan qu’il trace dans cette page est admirable d’ordre et de soins, de conseils de détail, et n’a pas cessé d’être le programme de tout historien, de tout biographe littéraire digne de ce nom. Il sait très bien insister sur ce qu’il ne s’agit pas ici de procéder à la manière des critiques, de perdre son temps à louer ou à blâmer, mais qu’il importe de raconter, d’expliquer les choses elles-mêmes historiquement, avec intervention sobre de jugemens. Il insiste encore sur ce qu’il ne s’agit pas seulement de compiler, de prendre chez les historiens et les critiques une matière toute digérée, mais de saisir par ordre les livres essentiels, les monumens principaux, chacun dans son moment, et alors, non pas en les lisant jusqu’au bout et tout entiers, mais en les dégustant, en sachant en saisir le sujet, le style, la méthode, d’évoquer par une sorte d’enchantement magique le génie littéraire d’un temps. — Et cela, il le conseille, non point pour la pure gloire des lettres, non pour le pur amour ardent qu’il leur porte (bien qu’il en soit dévoré), non par pure curiosité poussée à l’extrême (avis à nous autres, amateurs trop minutieux !), mais dans un but plus sérieux et plus grave, pour suggérer aux doctes dans l’usage et l’administration de leur science un meilleur régime, de meilleures méthodes, une prudence et une sagacité plus éclairée. « Il y a lieu, ajoute-t-il en concluant, de se donner le spectacle des mouvemens et des perturbations, des bonnes