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Reprenant donc ma pensée première, j’oserai affirmer, sans crainte d’être démenti, que Byron et De Sade (je demande pardon du rapprochement) ont peut-être été les deux plus grands inspirateurs de nos modernes, l’un affiché et visible, l’autre clandestin, — pas trop clandestin. En lisant certains de nos romanciers en vogue, si vous voulez le fond du coffre, l’escalier secret de l’alcôve, ne perdez jamais cette dernière clé.

L’improbité est un mot bien dur à articuler : il ne demeure que trop constant néanmoins que cette qualification flétrissante pourrait, sans trop d’impropriété, s’appliquer à bien des actes et des relations où des gens de talent obérés s’engagent et se dégagent tour à tour. Les vrais rapports de l’éditeur et de l’auteur sont rompus, et il semble trop souvent que c’est à qui des deux exploitera l’autre. L’influence de cet ordre de causes secrètes et intestines sur les idées et sur les œuvres est incalculable.

Le vers se sent toujours des bassesses du cœur ;

le vers plus que la prose, mais la prose elle-même aussi. On a dit d’un philosophe moderne qui ne pouvait s’accommoder de la petite morale à laquelle il manquait, et qui cherchait à en inventer une toute nouvelle, tout emphatique, à l’usage du genre humain, « que chez lui le creux du système était précisément adéquat au creux du gousset. » Mais ce genre de considérations va trop au vif et passerait le ressort de la juridiction critique.

L’argent, l’argent, on ne saurait dire combien il est vraiment le nerf et le dieu de la littérature d’aujourd’hui. On suivrait le filon et ses retours jusqu’en de singuliers détails. Si tel écrivain habile a, par places, le style vide, enflé, intarissable, chargé tout d’un coup de grandes expressions néologiques ou scientifiques venues on ne sait d’où, c’est qu’il s’est accoutumé de bonne heure à battre sa phrase, à la tripler et quadrupler (pro nummis) en y mettant le moins de pensée possible : on a beau se surveiller ensuite, il en reste toujours quelque chose. Un homme d’esprit, qui avait trempé autrefois dans le métier, disait en plaisantant que le mot révolutionnairement, par sa longueur, lui avait beaucoup rapporté. Si tel romancier à la mode résiste bien rarement à gâter ses romans encore naissans après le premier demi-volume, c’est que, voyant que le début donne et réussit, il pense à tirer l’étoffe au double, et à faire rendre au sujet deux tomes, que dis-je ? six tomes, au lieu d’un. Au théâtre, ce qui