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même qui se prononçaient pour la solution mixte, étaient très persuadés qu’il allait y avoir pour bien des années dans le corps social une plénitude de sève, une provision, une infusion d’ardeurs et de doctrines, une matière enfin plus que suffisante aux prises de l’esprit. Et voilà que, dès 1837, le calme presque universel s’établissait ; et, pour réduire la question aux limites de notre sujet, voilà que, littérairement, ce calme social d’apparence propice n’enfantait rien et ne faisait que mettre à nu le peu de courant ; que de guerre lasse, et à force de tourner sur soi-même, on se reportait d’un zèle oiseux vers le passé, non pas seulement le haut et grand passé, mais celui de toute espèce et de toute qualité, et l’on déjeunait des restes épicés de Crébillon fils comme pour mieux goûter le Racine ; voilà que les générations survenantes, d’ordinaire enthousiastes de quelque nouvelle et grande chimère et en quête d’un héroïque fantôme, entraient bonnement dans la file à l’endroit le plus proche sans s’informer ; que sans tradition ni suite, avec la facilité de l’indifférence, elles se prenaient à je ne sais quelles vieilles cocardes reblanchies, et, en morale comme dans l’art, aux premiers lambeaux de rubans ou de doctrines, aux us et coutumes de carnaval ou de carême.

Et quasi cursores vitaï lampada tradunt,

a dit l’antique poète dans une magnifique image : c’est comme un flambeau qu’il faut recevoir et saisir, en entrant, l’héritage de la vie ; quelques-uns l’ont pris comme un cierge, et beaucoup comme un cigare. Et la jeunesse a pu être trompée en cela par bon nombre de ceux qui précédaient ; il a passé dans tous les rangs comme un souffle de relâchement et de confusion. Tandis que la portion positive du siècle suivait résolument, tête baissée, sa marche dans l’industrie et le progrès matériel, la partie dite spirituelle se dissipait en frivolités et ne savait faire à l’autre ni contre-poids ni accompagnement.

Ce que les anciens moralistes nommaient tout crûment la sottise humaine est sans doute à peu près la même en tout temps, en tout pays ; mais en ce temps-ci et en France, comme nous sommes plus rapides, cette sottise en personne se produit avec des airs d’esprit, de légèreté, avec des vernis d’élégance qui déconcertent. On est mouton comme sous Panurge, mais on l’est avec des airs de lion.

Un semblable résultat pourtant (si c’était là un résultat) aurait trop de quoi surprendre et déjouer ; il ressemblerait à une attrape. Ce ne peut pas être, ce semble, pour un tel avortement, pour un tel jeu d’actions et de réactions sans cause suffisante, pour de tels engoue-