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SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE.

aussi bien du mensonger, de l’apocryphe et du postiche. Un excès, dans ces grands reviremens des nations, en amène et en favorise toujours un autre contraire : le flux est égal au reflux. Mais de nos jours, au milieu des respects et des hommages individuels et publics volontiers décernés à la religion, après le triomphe encore plus complet qu’espéré d’une politique conservatrice, venir réagir au-delà dans le même sens et en passant outre, pousser par système et par mode à l’aristocratie, au despotisme, à l’ultramontanisme, c’est ne prouver autre chose que l’ennui de l’ame qui s’agite à vide et la vanité de l’esprit qui se monte à froid. En littérature seulement, c’est-à-dire roman, poème et théâtre, on a pu trouver avec plus de fondement, en effet, que les promesses avaient quelque peu menti, que les saturnales duraient et s’étendaient avec insolence, que la boue des rues et l’ordure des bornes remontaient trop souvent jusqu’au balcon, que les grands talens à leur tour donnaient le pire signal et manquaient à leur vocation première, qu’ils s’égaraient, qu’ils gauchissaient à plaisir dans des systèmes monstrueux ou creux, en tout cas infertiles ; en un mot qu’ils n’amusaient plus et qu’ils avaient cessé de charmer. Dès-lors, en un tel état de choses, tout ce qui est et sera un peu naturel et élevé, un peu simple et moral, un peu neuf par là même, a retrouvé de grandes chances de plaire, d’intéresser et presque de saisir. Ce qu’on appelle réaction en littérature n’a aucun sens raisonnable, ou n’a que celui-là.

Depuis les cinq ou six dernières années, cette disposition est manifeste dans le monde, et n’a fait que se confirmer à chaque occasion, en maint exemple grand ou petit ; mais, si elle a ses motifs que je viens de dire, ses avantages relatifs, son bon sens rapide et ses délicatesses, la disposition d’esprit que nous reconnaissons ici et que nous saluons à son heure manque pourtant trop essentiellement de doctrine, d’inspiration à soi, d’originalité et de fécondité, pour devenir le ton d’un siècle, à moins que ce siècle ne soit prédestiné avant le temps aux douces vertus négatives et au régime du déclin. On ne saurait assez admirer vraiment le train singulier des esprits et le va-et-vient des opinions en ce capricieux et toujours gai pays de France. Il y a treize ans, une révolution s’accomplissait après une lutte prolongée, régulière, d’idées et de convictions, qui semblaient ardentes et profondes. La solution mixte improvisée à cette révolution pouvait déplaire à une portion notable des esprits et des cœurs : on pouvait désirer, concevoir du moins une autre issue, un autre cours donné aux choses, un autre lit au torrent ; mais tous, et ceux