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société, deux ou trois souvenirs de la vie de l’auteur, que l’auteur se met à redire tout au long et à enchâsser laborieusement et confusément dans d’interminables rimes. Tout à coup le voilà qui commence, avec de grandes protestations de repentir, le récit de quelque aventure amoureuse du temps de son ardente jeunesse, du temps de sa vie adultère. Le lecteur mondain, qui n’a pas tant de scrupules, se sent alléché et prend goût à la chose ; aussi attend-il avec impatience, et comme une distraction qui lui est bien due, ces anecdotes fabuleuses en tout. Mais à peine le poète a-t-il débuté, qu’il s’interrompt pour faire une sortie philosophique qui bientôt est interrompue elle-même par un hymne religieux auquel succède à l’instant quelque amplification de politique sociale. On dirait une série de parenthèses qui s’ouvrent sans cesse les unes après les autres sans se fermer jamais. Quant à l’histoire dont il devrait être question, elle reparaît quand elle peut ; le poète l’abandonne, la reprend, la laisse, la continue en ne cessant d’intercaler à travers tout ce qui lui vient à l’esprit. C’est une dérive perpétuelle, arrêtée çà et là par les digues factices des chapitres. Rien ne se tient ; tout est jeté pêle-mêle, sans qu’il y ait même quelque chose du pittoresque désordre, des groupes fortuits et frappans que produit quelquefois la confusion, cette confusion du moins où l’art n’est pas tout-à-fait absent.

Deux histoires sentimentales, incessamment rompues par des épisodes, incessamment divisées par des incidens, forment le fond même et la contexture du livre. — Dans la première, il s’agit d’une jeune fille que le poète ne nomme pas, et dont il s’éprit en la voyant faire l’aumône à la porte d’une église. Cette passion silencieuse grandissait chaque jour ; deux mois déjà s’étaient écoulés, quand la belle inconnue accepta en toute confiance le mari auquel son père l’avait promise à son insu. Un poète monarchique ne hante pas les quartiers bourgeois ; aussi est-ce en plein faubourg Saint-Germain, dans ces nobles lieux

où les hôtels princiers
Se défendent encor contre les épiciers,

que la fête du mariage eut lieu, au grand désappointement sans doute de l’amoureux qui n’avait rien dit. Le bal fut splendide. Cependant, au milieu de cette noce aristocratique, le père de la fiancée, souriant des deux yeux, étalait une joie bruyante qui avait quelque chose de fébrile ; aussi la jeune fille l’observait-elle avec inquiétude, quand tout à coup elle s’aperçoit qu’une lettre vient de lui être re-