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POETÆ MINORES.

ginalité véritable ; trop souvent aussi l’industrie s’est mise à la place de l’amour de l’art. Or, pour lutter avec avantage contre un passé si éclatant, ou plutôt pour continuer dignement une généalogie si glorieuse, la génération nouvelle n’aurait pas eu trop de la plénitude même de ses forces. Mais on sait comment elle les gaspilla, en s’abandonnant à tous les hasards des ambitions désordonnées et des fantaisies maladives. De là tant de résultats désastreux, tant de défaites imprévues. Cependant une belle part restera encore à notre époque, sur les points où les rivalités étaient moins redoutables, dans l’ordre où les comparaisons avec le passé n’offraient point le même danger. Là, sur ce terrain plus vierge, dans ces champs jusqu’ici peu abordés, le succès ne nous paraît pas contestable. Si la lutte en effet se prolonge au théâtre sans qu’on en puisse prévoir l’issue ; si, sur toute la ligne littéraire, le combat est au moins douteux partout où la défaite n’est pas consommée, il est évident en revanche que la victoire reste, que le triomphe nous est garanti dans des genres qui certainement ne sont pas secondaires.

Le lyrisme, l’histoire, la critique, voilà, jusqu’à ce jour au moins, les évidentes créations de notre ère littéraire, celles que, selon nous, on serait mal venu à repousser. Dans les sciences historiques, il y avait à faire mieux que les chroniqueurs n’avaient fait, autrement que n’avaient fait les maîtres les plus légitimement accrédités : l’impartialité pouvait se joindre à la profondeur, et l’exactitude pouvait ne pas interdire la clarté. Après avoir parlé pendant des siècles au nom de je ne sais quelle rhétorique de convention, la critique française, à son tour, avait à se renouveler ou plutôt à se fonder : il lui restait à prendre l’initiative par les théories, à expliquer selon l’esthétique les lois éternelles de l’art, à tirer des déductions fécondes du rapprochement des littératures ; il lui restait surtout à expliquer le présent par le passé, l’écrivain par l’homme, l’œuvre par le siècle, c’est-à-dire à joindre l’entreprise de l’historien et du moraliste à celle de l’érudit. Dans les régions incomparablement supérieures qu’elle habite, la poésie lyrique avait plus à faire encore. Nous étions surtout pauvres par le contraste des richesses voisines. D’une part, le génie méridional étalait avec orgueil les joyaux populaires du Romancero, et on le voyait, ici s’agiter aux énergiques accens des canzones dantesques, là se bercer dans les divines langueurs de Pétrarque. D’un autre côté, la muse du Nord venait à nous avec son concert d’hymnes inconnus : tantôt c’étaient les vagues soupirs de cette rêverie allemande qui se complaît à redire les plus fugitives aspira-