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quatre ou six chevaux, » dit le mémoire déjà cité, et, dit encore ce mémoire, « c’était là sa coutume. »

Puisque Pascal songeait à se marier, il est assez naturel qu’il ait fait attention aux femmes et recherché leur compagnie. Il était d’une excellente famille depuis long-temps ennoblie, en possession d’une assez belle fortune, célèbre depuis son enfance, et de toutes parts lié avec ce qu’il y avait de mieux. Son portrait est là pour nous dire quel était son noble visage ; ses grands yeux lançaient des flammes ; et dans ce temps de grande et romanesque galanterie à la Scudéry et à la Corneille, Pascal, jeune, beau, plein de langueur et d’ardeur, impétueux et réfléchi, superbe et mélancolique, devait être un personnage original et intéressant. On était alors en pleine fronde. Le bel esprit, l’intrigue et l’amour rapprochaient tout ce qui était distingué. Des débris de l’hôtel de Rambouillet s’étaient formés l’hôtel d’Albret, l’hôtel de Richelieu, et beaucoup d’autres cercles alors célèbres. En 1652, Mme de Sablé, Mme de la Suze, Mme de Lafayette, Mme Scarron, Mme de Coulanges, Mme de Sévigné, et dans des régions plus élevées, mais voisines, Mme de Longueville, Mme de Guémenée, La Palatine, Mme de Lesdiguières, étaient ou dans l’éclat de la jeunesse ou très belles encore et passionnées pour la gloire en tout genre. Il est très possible que dans ce monde d’élite, où Pascal devait être admis et recherché, il ait rencontré une personne d’un rang plus élevé que le sien pour laquelle il ait ressenti un vif attrait qu’il aurait renfermé dans son cœur, l’exprimant à peine pour lui-même dans le langage ardent et voilé de ce discours énigmatique. L’amour alors ne passait point pour une faiblesse ; c’était la marque des grands esprits et des grands cœurs. Rien donc de plus naturel que Pascal n’ait pas su ou n’ait pas voulu se défendre d’une impression noble et tendre, et que lui aussi, comme Descartes, il ait aimé.

Il faut certes que le goût du monde ait été bien fort dans Pascal pour qu’il ait résisté si long-temps aux avertissemens et aux vives instances de sa sœur Jacqueline, qui, depuis la mort de leur père, était entrée à Port-Royal à l’âge de vingt-six ans, et y était devenue religieuse au commencement de 1653, sous le nom de sœur Euphémie. Elle ne cessait de conjurer son frère de rompre tous ses liens et de se donner à Dieu. Enfin, en 1654, arriva l’accident terrible de Neuilly, qui pensa le tuer un jour de fête, au milieu de la dissipation. Pascal dut en ressentir un profond ébranlement. Et pourtant cela ne suffit pas à le détacher du monde sur-le-champ ; il n’éprouvait encore que