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UN FRAGMENT INÉDIT DE PASCAL.

énergique que le premier, parce qu’il venait d’une bien autre expérience de la vie humaine, alla sans cesse augmentant et ne finit qu’à sa mort, en 1662. Il est certain pourtant qu’il y eut un intervalle de plusieurs années, de 1652 jusqu’à la fin de 1654, pendant lequel Pascal fut un homme du monde. Que fit-il durant ces trois années ? Nous l’ignorons ; mais nous connaissons Pascal, nous savons qu’il ne faisait rien à demi, et on peut affirmer qu’une fois entré dans la vie mondaine, il y dut porter son caractère, sa curiosité, son ardeur, le besoin insatiable d’arriver en tout aux dernières limites.

M. Périer, dans la vie de son frère, jette un voile pieux sur ces années de dissipation ; il lui a plu de s’en tenir à ces paroles fort peu significatives : « les médecins crurent que, pour rétablir entièrement sa santé, il fallait qu’il quittât toute sorte d’application d’esprit, et qu’il cherchât autant qu’il pourrait les occasions de se divertir. Mon frère eut quelque peine à se rendre à ce conseil… mais enfin il le suivit… et il s’imagina que les divertissemens honnêtes ne pourraient pas lui nuire, et ainsi il se mit dans le monde. Mais, quoique par la miséricorde de Dieu il se soit toujours exempté de vices, néanmoins, comme Dieu l’appelait à une plus grande perfection, il ne voulut pas l’y laisser… » Voilà le langage de la bonne sœur ; en voici un autre, celui d’un homme parfaitement informé, l’exact auteur de l’excellent mémoire sur Pascal inséré dans le Recueil de plusieurs pièces pour servir à l’histoire de Port-Royal, Utrecht, 1740 : « M. Blaise Pascal ne put goûter la retraite de sa sœur (Jacqueline), car il n’était plus le même qu’auparavant. Comme on lui avait interdit toute étude, il s’était engagé insensiblement à revoir le monde, à jouer et à se divertir, pour passer le temps. Au commencement, cela était modéré, mais enfin il se livra tout entier à la vanité, à l’inutilité, au plaisir et à l’amusement, sans se laisser aller cependant à aucun dérèglement. La mort de monsieur son père ne lui donna que plus de facilité et de moyens de continuer ce train de vie ; mais lorsqu’il était le plus près de prendre des engagemens avec le monde, de se marier et de prendre une charge, Dieu le toucha… »

Même mémoire : « Sa sœur, la religieuse de Port-Royal, gémissait sans cesse de voir celui qui lui avait fait connaître le néant du monde s’y plonger lui-même de plus en plus et être près de se lier par des engagemens considérables. »

Il paraît que Pascal avait d’assez grandes habitudes de luxe, car, lorsque l’aventure de Neuilly lui arriva, il était dans « un carrosse à