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mière partie de l’édition de Bossut ? Et ailleurs : « À mesure que l’on a plus d’esprit, l’on trouve plus de beautés originales. » C’est pour la beauté ce qui est dit des hommes en général dans le paragraphe I de ce même article 10.

Mêmes pensées, mêmes termes, même esprit, même manière. Je ne veux pas pousser plus loin la démonstration. Ce fragment est donc bien de Pascal. On le croyait à Saint-Germain, l’ouvrage lui-même le prouve ; ce n’est point une supposition vraisemblable, c’est un fait indubitable. Reste à savoir comment ce fait est possible. Où trouver dans la vie de Pascal la disposition d’esprit et d’ame qui aura pu lui inspirer ce discours ? Voilà le problème qu’il s’agit de résoudre.

On ne connaît guère que deux hommes dans Pascal, le jeune savant qui s’épuise en travaux immortels, et le solitaire de Port-Royal écrivant les Provinciales et préparant les Pensées. Mais il y en a un troisième encore, l’homme du monde qui, sans tomber dans le dérèglement, a pourtant vécu de la vie commune, suivi le train ordinaire, participé à nos goûts, à nos passions, à nos fautes. On a bien dit quelque chose de cela dans ces derniers temps, mais on peut l’établir avec la dernière certitude.

Pascal, sorti d’une famille respectable, nourri des meilleurs principes, entouré des meilleurs exemples, avait, comme tous les honnêtes gens de son temps, un fonds de croyances religieuses qui sommeilla quelquefois, mais ne s’éteignit jamais. À Rouen, à l’âge de vingt-quatre ans, en 1646, sous l’influence de M. Guillebert, Pascal, jusqu’alors livré à l’étude des mathématiques, mais déjà malade, est pris d’un accès de dévotion. Il se convertit, comme on disait alors, et, avec l’ardeur qu’il portait en toutes choses et l’ascendant qu’il exerçait déjà, il convertit toute sa famille, ses deux sœurs, Gilberte et Jacqueline, et jusqu’à son père, Étienne Pascal. Cette ferveur religieuse dura et s’accrut toujours dans Jacqueline ; mais, dans Pascal, elle s’affaiblit peu à peu, et parut même se dissiper entièrement, lorsqu’à Paris, en 1652, après la mort de son père, devenu maître de sa conduite et de sa fortune, il entra dans le monde. Il ne voulait d’abord qu’obéir à ses médecins, qui lui avaient interdit toute étude ; puis, insensiblement, il prit goût à cette vie nouvelle et s’y engagea de plus en plus, jusqu’à ce que tout à coup, à la fin de l’année 1654, il tomba dans un profond ennui des dissipations où il avait perdu plusieurs années, et se retira à Port-Royal pour s’y donner entièrement à Dieu. C’est là ce qu’on appelle la seconde et dernière conversion de Pascal. Ce nouvel accès de dévotion, tout autrement