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manie, imaginez-vous ce que deviennent des idées qu’auraient pu soulever à peine l’enthousiaste bon sens d’où naquit Don Quichotte, le triomphant esprit qui créa Candide.

Les Prétendus, entièrement différens dans leur sujet du Château des Pyrénées et du Bananier, ont un rapport intime avec ces deux œuvres dans la trivialité de leur forme. Une veuve, la marquise d’Houdailles, riche de deux cent mille francs de revenu et belle comme une fille de quinze ans obligée de se passer de dot, vient faire un séjour de quelques semaines à la campagne auprès de son frère, M. Ménier. Ce frère est marié, à telle enseigne même qu’il est atteint du genre de fléau qui appartient exclusivement à l’hymen : M. Ménier, qui a épousé une demoiselle comme George Dandin, a le même sort que le gendre de Mme de Sotenville. Sa femme, Claire de Perdignan, entretient depuis nombre d’aunées une liaison qui commence presque à devenir respectable avec le comte de Cancelle. Voilà où est le nœud de l’intrigue. Ce comte de Cancelle a aimé autrefois la marquise d’Houdailles avant son mariage, et, pour qu’il ne retourne pas à ses anciennes amours, il faut que la veuve se réengage bien vite dans une nouvelle union. C’est ce que comprend Mme Ménier ; elle convoque donc, aussitôt qu’elle apprend l’arrivée de sa belle-sœur dans son château, toute une armée de prétendus. Or, cette armée a le grand inconvénient d’entourer des yeux les plus clairvoyans et des oreilles les plus subtiles, des oreilles et des yeux d’amans, l’intérieur de M. Ménier. Ce qui avait été pendant huit ans un mystère se découvre en quelques jours. On sait que M. de Cancelle aime les deux belles-sœurs et reçoit les faveurs de l’une d’elles :

Laquelle des deux est l’infame ?
Est-ce ma sœur ? Est-ce ma femme ?

dit M. Ménier, en s’appliquant les deux vers d’une ballade qu’une fatalité singulière l’a poussé à chanter à la fin d’un repas. Tous les prétendus sont aussi intéressés que lui à résoudre la question qu’il se pose. La catastrophe qui amène le dénouement les aide puissamment à obtenir cette solution. Claire de Perdignan, dans un accès de fureur jalouse, se tue et tue son amant. Un des prétendus convoqués épouse la marquise d’Houdailles. Quant à M. Ménier, il y avait dans son existence un fait que nous n’avons point révélé plus tôt, parce qu’à ce fait comme à l’expression que nous tirions tout à l’heure du Bananier, il aurait fallu suspendre toute analyse. Le mari de Claire se consolait des coquetteries de sa femme envers les autres et de ses duretés envers lui par un commerce avec Catherine. Or, Catherine, vous frémissez d’avoir compris, Catherine était une cuisinière. La fille des Perdignan est à peine descendue au tombeau que sa servante prend sa place. M. Ménier, que le romancier représente comme un modèle de délicatesse et d’honnêteté, fait succéder à son ignoble adultère un mariage plus ignoble encore. Il tire de la cuisine ses honteuses amours pour les produire à la lumière des cierges