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habits de bergers. Quatre volumes tout entiers contiennent les efforts désespérés que font ces mystérieux personnages pour débrouiller les inextricables énigmes de leurs destinées ; enfin, au dernier chapitre du tome cinquième, la mort fait avec sa faux ce qu’Alexandre fit avec son épée ; elle dénoue en les coupant tous les nœuds qui unissent ces êtres divers les uns aux autres. La tombe s’ouvre également pour le traître et pour l’homme vertueux, pour la femme pure et pour la femme coupable. La toile baisse au moment où finit ce long drame sur un nombre prodigieux de cadavres dont chacun porte les marques d’un genre différent de trépas. Mais à présent, pourquoi tous ces gens-là se sont-ils tués ? Quels intérêts, quelles passions remplissaient leur cœur de si profonds désespoirs et de si implacables haines ? Pourquoi, pendant le cours de ces cinq volumes, les hommes ont-ils rugi, les femmes ont-elles pleuré ? Voilà ce qu’il nous serait très difficile d’expliquer. Le critique Geoffroy qui faisait sur le théâtre de Racine comparé à celui d’Euripide des dissertations très ingénieuses et très savantes, allait quelquefois, pour obéir aux nécessités de son métier, entendre un de ces interminables mélodrames dont l’obscurité est traditionnelle sur la scène des boulevards. Un jour qu’il avait été assister à une de ces représentations excentriques, au lieu de l’analyse de la pièce il écrivit simplement en rentrant chez lui pour son article du lendemain quelques bribes de l’étrange prose qui avait frappé ses oreilles. Je crois que rien ne pouvait donner une idée plus exacte du mélodrame dont Geffroy voulait rendre compte que ces citations, par cela même qu’elles avaient de décousu. Qu’on nous permette d’appliquer un instant au roman de M. Soulié le procédé dont s’est servi avec succès le critique du Journal de l’Empire. Un des personnages du Château des Pyrénées s’adresse à deux vieillards dont l’un vient de lui déclarer qu’il est son père : « Vous êtes, leur crie-t-il, deux vieux scélérats. — Misérable ! dit Pastourel. — Monsieur, fit d’Auterive avec colère, il se sert de termes peu séans, mais il a raison… — Il a raison, s’écria Barati, ton fils a raison, Giacomo… — Tu devrais savoir, malheureux enfant, reprit Pastourel, que personne ne sort d’ici sans ma volonté ; ébranle si tu peux cette porte,… appelle du fond de cette salle d’où personne n’entendra tes cris… Vous êtes armés, messieurs, et je le suis aussi. Voulez-vous essayer à qui demeurera la victoire ? Commençons, et la faim vengera dans quelques jours le vaincu de son vainqueur… Pendant ce temps, Barati s’était baissé et avait ramassé le pistolet que lui avait arraché d’Auterive mais, au moment où il se dirigeait vers lui, la lampe s’éteignit tout à coup, un bruit horrible et sinistre se fit entendre, la salle parut s’ébranler, et un silence absolu, des ténèbres profondes régnèrent dans cette salle. »

Nous déclarons qu’après avoir lu en conscience tous les chapitres dont se compose le volumineux roman de M. Soulié, nous sommes à peu près dans la situation d’esprit où doivent être ceux qui viennent de lire ce fragment. Nous sommes sûr d’avoir assisté à un drame des plus effrayans, mais ce drame a obstinément gardé pour nous le secret de ses terreurs. Quoique