Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/967

Cette page a été validée par deux contributeurs.
961
LE MOIS DE MAI À LONDRES.

Nul ne peut prévoir où s’arrêtera cette agitation gigantesque qui réunit aujourd’hui des centaines de mille hommes sur les pas d’O’Connell. Whigs et tories s’accusent réciproquement de ce qui se passe ; les tories reprochent aux whigs d’avoir fortifié l’Irlande par leurs ménagemens ; les whigs reprochent aux tories de l’avoir soulevée par leurs menaces, et tous deux ont raison. D’un côté, personne en Angleterre ne veut entendre parler du rappel de l’union ; de l’autre, trois millions d’Irlandais le réclament à grands cris. La question paraît insoluble ; mais ce n’est pas la première fois qu’elle paraît ainsi. De tout temps, l’Irlande a été une question insoluble pour l’Angleterre. On a essayé successivement de la force et de la modération, rien n’a complètement réussi, mais aussi rien n’a complètement échoué. Ce ne sont que des palliatifs sans doute, mais enfin ce sont des palliatifs. Lequel faut-il employer cette fois ? On n’en sait rien encore et on attend. Le gouvernement ne prendra un parti que lorsqu’il y sera forcé par les évènemens et qu’une opinion publique quelconque sera formée en Angleterre sur la question. En attendant, on cherche à deviner ce que veut réellement O’Connell ; on sait que c’est un légiste, un avocat, qui ne sortira pas volontairement de la légalité, et on se demande dans quelle espérance il s’est engagé si avant ; on se met en mesure de résister par les armes, s’il y a lieu, mais on espère qu’il se présentera quelque biais qui permettra de tout concilier.

Pour aggraver encore cette situation, deux mesures présentées par le ministère ont rencontré dans le parlement une opposition sérieuse ; l’un est le bill pour l’éducation des enfans dans les manufactures, l’autre est le bill pour l’introduction des blés du Canada. Ces deux bills sont loin de faire en France le même bruit que les meetings irlandais ; ils sont cependant bien autrement importans aux yeux des Anglais. Ce sont là les véritables questions intérieures. L’organisation d’un système général d’éducation pour les enfans pauvres est à la fois un des plus pressans besoins et une des plus grandes difficultés de l’Angleterre. Le ministère whig a échoué dans son plan ; le ministère tory pourrait bien à son tour échouer dans le sien. Le peu de moyens d’éducation qui existent aujourd’hui ont été établis par les dissidens, et le nouveau bill a pour but de réorganiser les écoles en les mettant sous la direction de l’église et de l’état. Quiconque connaît les passions religieuses de l’Angleterre doit comprendre par ce seul mot quelle violente colère ces clauses ont dû exciter parmi les dissidens. Or, ils sont nombreux,