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LE SALON.

semblait mise là tout exprès pour remplir les intentions royales et pour satisfaire les exigences de l’opinion. Ce corps illustre offrait toutes les garanties désirables ; tous ses membres étaient des artistes plus ou moins célèbres, des maîtres consommés dans leur art ; à l’autorité de la science et du talent ils joignaient celle de l’âge, des honneurs légitimement acquis, d’une position élevée et indépendante. Que pouvait-on demander de plus ? L’idée seule de confier à des hommes spéciaux, appartenant à un corps constitué, nombreux, permanent, recruté par l’élection, une mission attribuée jusqu’alors à des commissaires de compétence plus ou moins suspecte, isolément et arbitrairement désignés, était un progrès. Pour mieux marquer le sens de cette nouvelle institution, on l’appela, quoique assez improprement un jury. L’intention était libérale ; la mesure fut accueillie avec satisfaction.

On sait ce qui est advenu depuis. Ce jury, qu’on pouvait considérer comme un jury modèle, a donné lieu aux mêmes accusations que les précédens. Il est tombé, dit-on, dans les mêmes fautes, il a commis les mêmes erreurs. La liste de ses bévues, qu’on donne volontiers pour des méfaits, a grossi d’année en année, et, à l’heure où nous écrivons, il a à se défendre contre une attaque régulière des artistes, et contre un adversaire plus dangereux encore, l’opinion publique, qui, jusqu’ici indifférente, a fini par prendre parti.

Il importe avant tout de bien constater que cette opposition n’est pas dénuée de fondement. En mettant de côté les exagérations, les violences des amours-propres blessés, des médiocrités désappointées, des intérêts froissés, en faisant abstraction des griefs personnels, réels ou supposés, énoncés contre tels ou tels hommes, en élaguant toute la partie anecdotique et la chronique scandaleuse du jury, il reste encore assez de quoi légitimer les plaintes, et faire mettre en question l’utilité, la convenance, la justice de ce tribunal.

Les faits sont connus. Il est constant que chaque année on reçoit au Louvre deux mille morceaux, et qu’on en rejette deux mille autres, sans qu’on puisse justifier, dans le détail, ce partage autrement que par la nécessité supposée de proportionner la quantité des toiles ou des marbres admis à la mesure de telles ou telles salles du Louvre. Il est constant que chaque année les neuf dixièmes des ouvrages acceptés ne valent pas mieux que les neuf dixièmes des ouvrages refusés. Il est constant que, chaque année, des artistes d’un talent reconnu, accepté, classé, et quelquefois du premier ordre, sont laissés à la porte, tandis qu’on l’ouvre aux médiocrités les plus authentiques,