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contraire à celle que le jansénisme lui avait imprimée ; il proscrivit le dogme et proclama la morale, destituée de sanction et de preuves, comme la base et l’essence de la religion. C’était du même coup mettre hors de cause, non pas seulement le jansénisme, mais toutes les sectes du protestantisme, toutes les écoles chrétiennes dont les dissidences et les polémiques avaient précisément pour objet cette sanction et ces preuves. Aujourd’hui même, en plein xixe siècle, la discussion se poursuit sous une face nouvelle : pour qui étudie attentivement le mouvement intellectuel en Europe, il est bien démontré que les idées religieuses se relèvent peu à peu du discrédit où les a plongées la prédication encyclopédique ; on a pu voir récemment que chacune des écoles et des sectes récusées par le dernier siècle s’efforce de reconquérir sa position première dans la mêlée sérieuse des systèmes et des opinions de ce temps.

V. — RÉACTION SOCINIENNE AU XIXe SIÈCLE. — CONCLUSIONS.

On nous permettra sans doute de nous arrêter un instant à décrire la situation des esprits à l’égard de ces graves matières. Il ne s’agit plus, comme au xvie et au xviie siècle, de transformer ou de modifier les dogmes, dont la philosophie a si énergiquement contesté la réalité, l’importance, mais bien de savoir si, dans l’intérêt de la philosophie même, on ne doit point s’efforcer de les réhabiliter et de les maintenir. Qu’il soit impossible aux peuples de vivre et de prospérer sans religion, c’est là une vérité qui a couru tous les livres ; il n’est pas de philosophe éminent, si l’on excepte Bayle, qui ait soutenu l’opinion opposée. C’est pourtant l’opinion de Bayle qui triomphe parmi les masses, si l’on en juge par l’indifférence où s’engourdit l’immense majorité des consciences. Il y a là un fait capital qui est le trait caractéristique de l’époque où nous vivons : c’est qu’au xixe siècle l’indifférence a son motif, son excuse ; c’est que, pour tout dire, elle s’est logiquement et nécessairement produite, de par les lois les plus hautes qui régissent la civilisation. Aux yeux de M. de Lamennais ou de M. le comte de Maistre, rien, il y a vingt ans, n’était aussi dégradé, aussi abject qu’un indifférent ; c’est là une exagération sur laquelle, au seul aspect de la société actuelle, on doit se hâter de revenir. L’indifférence peut s’allier et s’allie en effet à la probité, à l’honneur, au patriotisme, aux vertus privées, aux vertus publiques ; la raison de ce fait, c’est qu’un niveau intellectuel s’est établi entre les communions et les sectes ; bien en dehors des formules, il a surgi une doctrine purement morale et commune à tous. Il y a aujourd’hui en France des hommes qui ne sont plus ni juifs, ni protestans, ni catholiques, et d’autres qui vont encore à l’église, au temple, à la synagogue ; dans toutes les grandes circonstances de la vie et sur les cas les plus graves, ces hommes ne pensent-ils pas de la même façon ? La lutte des symboles a produit comme une vaste résultante qui résume ce que la morale humaine a jamais eu de grand et de