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de Leyde, qui cette fois, pour le plus grand honneur sans doute de la logique humaine, assimila les doctrines de Faustus au paganisme, prononcèrent contre les purs sociniens la peine de la confiscation et de l’exil. Mais ce n’était là qu’une surprise sur laquelle on ne tarda pas à revenir. Un livre parut alors qui réduisit à l’impuissance toutes les haines calvinistes, et qui, par l’éloquence et l’ampleur éclatante des développemens philosophiques, par l’énergie et la clarté de la dialectique, égale assurément l’Apologétique de Tertullien, et la préface dédicatoire de l’Institution, de Calvin. Ce livre, intitulé Défense de la vérité injustement mise en cause, par un chevalier polonais, continue la réponse adressée par Faustus à Jacques Paléologue ; il fut publié par Jonas de Schlichting, seigneur de Buckovie, qui devint le chef de la secte quand les édits de la diète de Varsovie forcèrent les sociniens à se disperser en Europe. L’ouvrage du seigneur de Buckovie est la plus véhémente, la plus fière, la plus péremptoire réfutation des griefs que les sectes protestantes ont fait peser pendant un demi-siècle sur les continuateurs de Lélio et de Faustus. La tâche qu’il accomplit, un autre unitaire l’avait précédemment entreprise, le célèbre et trop malheureux Conrad Vorstius, proscrit par les états de Hollande sur la requête ou plutôt sur l’ordre du roi casuiste Jacques Ier d’Angleterre, qui d’abord avait lancé contre lui un lourd traité de théologie. Le chevalier polonais n’eut pas besoin de s’y prendre à deux fois ; placé, dès la publication de son apologie, à l’abri des persécutions civiles et religieuses, le socinianisme continua paisiblement de s’assimiler, non pas seulement dans la Hollande, mais dans l’Europe entière, tous les libres raisonneurs qui, depuis l’avènement de la philosophie cartésienne, s’efforçaient encore de concilier l’indépendance de l’esprit humain avec un principe d’autorité démêlé parmi les traditions chrétiennes et les dogmes des deux révélations.

Le dernier représentant du socinianisme polonais devait se produire dans l’illustre famille des Ragotzki, dont l’extrême tolérance à l’égard des sectes réformées est l’objet d’un blâme violent dans les édits des diètes de Pologne et des états-généraux de Hollande. Stanislas-François-Léopold Ragotzki, prince de Transylvanie, qui, au commencement du xviiie siècle, continua dans la Hongrie la grande lutte soutenue contre l’Autriche par son oncle, le fameux comte Tekeli, chercha vainement un refuge en Europe, quand il se vit contraint de briser son épée ; la haine de l’Autriche le poursuivit jusque dans l’humble maison des camaldules de Grosbois, où, avec l’autorisation de Louis XIV, il vécut deux ou trois ans, sous le nom de comte de Saros, partageant son temps entre l’étude et les exercices de piété. Chassé de la chrétienté, Ragotzki alla demander un asile à la Porte ottomane, qui lui assigna pour résidence la petite ville de Rodosto, près de la mer de Marmara. Ce fut là qu’il mourut, le 8 avril 1735, ne laissant d’autre bien qu’un livre de controverse, Méditations sur l’Écriture sainte, où se retrouvaient les principes du socinianisme, à ce que rapportent les annales du monas-