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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

le devrait pas. Dieu n’a point voulu que l’homme fût vertueux ou vicieux par nature ; libre de se porter aux actions généreuses ou répréhensibles, celui-ci possède au besoin, dans son esprit, dans son cœur, dans son ame, toutes les facultés, toutes les ressources nécessaires pour persévérer dans les voies difficiles du juste et de l’honnête ; pourquoi restreindre les forces qu’il a reçues pour le bien ? Pourquoi son salut dépendrait-il d’évènemens accomplis avant sa naissance et de causes indépendantes de sa volonté ?

Nous retrouvons ici, au sujet de la nature humaine, l’inévitable inconséquence que nous avons déjà signalée au sujet de la nature divine, et qui fait de la doctrine socinienne une simple branche du déisme ou du pur rationalisme. Les sociniens rejetaient le dogme de la déchéance originelle ; mais, dans ce cas, pourquoi donc admettre le dogme de la rédemption ? Il faut écarter la question théologique pour bien apercevoir, au point de vue purement philosophique, la portée des efforts entrepris par Faustus et ses disciples en faveur de la liberté de l’intelligence humaine. Faustus s’attache à prouver que le principe du libre arbitre a seul fécondé ou maintenu les religions, les philosophies, les institutions, les sciences ; que le fatalisme a toujours étouffé ou ruiné les civilisations où il s’est produit. La démonstration n’était point inutile au xvie siècle, où le fatalisme calviniste engendrait déjà dans presque tous les rangs, dans presque toutes les classes, une profonde indifférence à l’égard des institutions, des sciences, des philosophies et des religions. C’est précisément à la suite de cette démonstration que Faustus fait ressortir l’impuissance des lois civiles, en l’absence d’une sanction religieuse. Deux cents ans après, Jean-Jacques Rousseau affirmait également que jamais un état n’a pu subsister qu’il n’ait eu la religion pour base ; Socin ne se borna point à l’affirmer, il le démontra de manière à prévenir toute réplique dans des traités extrêmement remarquables qui mettent en relief la morale du socinianisme bien plus encore que sa logique. De tous ces livres, il résulte une vérité consolante qu’il suffit d’exprimer pour réfuter les calomnies dont l’humanité a été l’objet de la part d’un si grand nombre de publicistes et d’historiens : les conventions sociales ne subsistant que par la religion, c’est-à-dire par la force des sympathies naturelles que ressentent les uns pour les autres les individus de notre espèce, la bonté de l’homme n’est-elle pas hautement établie par le seul fait de la formation et de l’existence des sociétés depuis des temps si éloignés de nous qu’ils échappent à toutes les recherches et à tous les calculs ? C’est ce qu’il faut souvent rappeler à une époque où, les grandes choses se faisant par les masses, l’individu, inévitablement froissé, peut à chaque instant perdre courage, ne plus compter que sur lui-même et se laisser envahir par l’égoïsme, le plus odieux de tous les vices. Faustus Socin écrivait au xvie siècle, au moment où s’accomplissait la rénovation religieuse. Dans ce xixe siècle où s’opèrent les rénovations politiques, serait-il hors de propos que les voix les plus éloquentes insistassent sur les maximes du fugitif d’Italie ?