Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/922

Cette page a été validée par deux contributeurs.
916
REVUE DES DEUX MONDES.

sans peine qu’elle n’ait point excité d’ardentes sympathies parmi les populations des palatinats, si étroitement attachées encore à la glèbe féodale ; c’est pour cela que, sur les questions sociales, Faustus s’est prescrit plus soigneusement que les autres novateurs la réserve la plus absolue ; c’est pour cela que, dans son livre en réponse à Jacques Paléologue, il insiste à tout propos, — un peu trop souvent, à notre avis, — sur la nécessité de se soumettre aux gouvernemens établis. On a prétendu que, pour inspirer le moins d’ombrage possible, Faustus avait conseillé aux siens de s’abstenir du métier des armes, et, en général, de toutes les charges publiques : pour nous qui avons scrupuleusement exploré les moindres recoins de sa doctrine, nous n’avons pu y découvrir une pareille recommandation, qui, du reste, eût constitué une contradiction flagrante avec l’active intervention de la noblesse socinienne dans les troubles et les déchiremens intérieurs de la Pologne, et dans les guerres que ce malheureux royaume eut à soutenir contre les Cosaques et les Ottomans. Elle se trouve dans les livres de quelques-uns de ses disciples, et surtout dans ceux du baron autrichien Jean-Louis Wolzogue de Tarenfeld, qui inférait l’interdiction absolue du droit de guerre du précepte par lequel Faustus proscrivait le droit de punir par le glaive, le droit de mettre à mort les méchans. Nous rapporterons à ce sujet un bruit assez étrange, que répandirent de l’un à l’autre bout de l’Europe les détracteurs de la secte, et qui n’était point encore tout-à-fait tombé vers le milieu du xviie siècle, où Bayle en fit justice. On raconte que, lors d’une invasion russe, les nobles sociniens s’étant excusés de suivre la bannière nationale sur l’horreur invincible qu’ils éprouvaient pour le sang versé, on leur insinua que, s’ils voulaient bien marcher avec l’armée, ne fût-ce que pour faire nombre, on les dispenserait de mettre des balles dans leurs mousquets. La condition ne répugna point à nos philantropes, qui prirent place aux derniers rangs, quelque peu en avant des bagages ; mais, à peine arrivée en présence de l’ennemi, l’armée polonaise rompit brusquement ses lignes, écarta ses ailes et laissa de toutes parts exposés au feu des Cosaques les trop sensibles sectateurs de Socin, qui, dès les premières décharges, réclamèrent à grands cris des balles et se sentirent radicalement guéris de leur excès d’humanité. Nous rapportons ce conte comme un exemple des railleries et des épigrammes que les austères polémistes du xvie siècle mêlaient parfois à leurs plus graves argumens.

La Réponse à Jacques Paléologue[1] complète la deuxième partie de l’œuvre socinienne, la plus instructive à coup sûr et la plus importante : il s’agit ici de l’effort entrepris par Faustus en faveur de la liberté humaine

  1. Jacques Paléologue, qui avait pour ancêtres les derniers empereurs de Constantinople, abandonna l’île de Scio où il était né, l’Italie où il avait fait ses études, l’Allemagne où il avait suivi la fortune des principaux réformateurs, et alla chercher un refuge dans la petite Pologne, où il devint en très peu de temps recteur du gymnase de Clausenbourg. Jacques Paléologue exagéra toutes les idées sociniennes, et nia non-seulement la divinité de Jésus, mais ce dogme de la médiation que l’assemblée de Vicence s’était efforcée de faire prévaloir sur