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taire ne fut point pour cela sensiblement altérée. Dans les lettres qu’il écrivit par la suite à Socin, nous n’avons pu découvrir qu’un passage où son mécontentement se fasse jour ; il est vrai qu’il y éclate tout entier et avec une foudroyante énergie : « Je vous l’ai dit à plusieurs reprises, s’écrie le législateur de Genève, et je vous le répète plus sérieusement encore que par le passé, si vous ne mettez de l’empressement à réprimer la démangeaison d’innover qui vous agite et vous possède, je crains bien que vous ne vous exposiez aux plus grands malheurs. » Le conseil était significatif, d’autant plus que Calvin y ajouta un terrible commentaire, le supplice de Michel Servet. Lélio se hâta d’en faire son profit ; dès ce moment, il cessa de conférer avec les ministres du calvinisme ; ses principes s’enveloppèrent dans de brillantes et poétiques allégories dont aujourd’hui le sens nous échappe tout-à-fait. Son extrême prudence devint célèbre dans son parti ; plus tard, son neveu Faustus le proposait pour modèle aux jeunes seigneurs de la secte qui, au sein des diètes polonaises, bravaient ouvertement les nonces catholiques ou luthériens. Cette réserve eut cependant de bien graves inconvéniens pour sa gloire, car, à dater de cette époque, sa vie ne jeta plus aucune espèce d’éclat. Entre son dernier voyage en Pologne, où l’avait appelé Blandrata, qui venait d’y répandre abondamment les semences du socinianisme, et sa mort survenue à Zurich en 1562, seize années après l’assemblée de Vicence, pas un événement ne se présente qui mérite d’être signalé. Quelque temps avant de mourir, il avait voulu revoir la terre natale ; grace aux sollicitations de Mélancthon, le roi de Pologne, Sigismond-Auguste et l’empereur Maximilien II l’avaient accrédité, en qualité d’envoyé, auprès du doge de Venise et du grand-duc de Toscane. L’inquisition n’eut point égard aux lettres de recommandation de ces deux princes : Lélio avait à peine touché le sol de l’Italie qu’il fut chassé par les persécutions du saint-office, et cette fois pour toujours. Lélio mourut obscurément et sans bruit, à peine âgé de trente-sept ans, laissant après lui de nombreux manuscrits qui échurent à son neveu Faustus.

Faustus Socin, au moment où il alla recueillir la succession de son oncle, n’avait pas encore vingt-trois ans. Son âge ne lui ayant point permis d’assister à l’assemblée de Vicence, il ne fut jamais compris dans les persécutions qui atteignirent ou dispersèrent Lélio et ses compagnons, et l’on eût dit que depuis, par la dissipation de sa vie élégante et désœuvrée, il avait pris à tâche de détourner les soupçons qu’auraient pu conserver à son égard les familiers de l’inquisition et le gouvernement de Venise. Sa mère, Agnès Petrucci, était la fille du principal magistrat de la république de Sienne ; elle avait pour alliés la plupart des grands seigneurs et des princes de la péninsule. Par l’éclat de sa naissance, par le charme et la distinction de ses manières, par la douceur habituelle de son caractère, qui, au besoin, déployait une indomptable fermeté, Faustus n’eut point de peine à se placer à la tête de la jeune noblesse italienne, la plus dissolue sans aucun doute de l’Europe du xvie siècle, mais de laquelle, après tout, sortirent, en si grand nombre, de si beaux et de si remarquables esprits. La mort de Lélio vint surprendre Faustus à Lyon