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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

II. — PREMIÈRES PERSÉCUTIONS. — FAUSTUS SOCIN. —
LES SOCINIENS EN POLOGNE.

Les délibérations de Vicence ne purent avoir lieu si secrètement que le gouvernement de Venise n’en fût averti. L’inquisition fit arrêter deux de ses membres, Jules Trévisanus et François de Ruego, qui, malgré leur rang, leurs titres, leur célébrité, leur fortune, furent immédiatement étranglés. Tous les autres parvinrent à s’échapper des états de Venise ; ils se dispersèrent dans les diverses contrées de l’Europe, en France, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, en Pologne et jusqu’en Turquie. Le médecin Blandrata alla fonder en Transylvanie la première église socinienne. Alciati trouva un asile à Constantinople, où les misères de l’exil le contraignirent, dit-on, à se faire musulman. Gribaldi et Ochin, successivement expulsés de toutes les universités, moururent de la peste, le premier à Tubingue, le second dans le petit village de Slancow, en Moravie. Plus malheureux encore qu’Ochin, Valentin Gentilis fut décapité à Berne après de longues années passées dans les prisons de Lyon, de Genève, de Cracovie, de Dantzick. On s’étonne, au premier aspect, que les gouvernemens de l’Europe aient sévi sans répit ni trève contre une secte si tolérante, la seule qui, au xvie siècle, eût retranché de son symbole le dogme des châtimens éternels ; mais, à une époque où les nouveautés religieuses avaient, sur divers points déjà, entraîné des secousses et des bouleversemens politiques, c’était là précisément la raison de ces persécutions incessantes : les lois humaines se montraient inflexibles envers tous ceux qui leur ôtaient leur sanction la plus efficace, la terreur de la loi de Dieu.

Lélio Socin s’établit à Zurich, mais il ne s’y fixa définitivement qu’après avoir consacré quatre années à visiter la France, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Pologne. Les plus grands savans de l’Europe, Mélancthon, Bèze, Munster, l’accueillirent avec un bienveillant empressement. L’élévation de son esprit, l’honnêteté de ses mœurs, séduisirent le peuple et le sénat de Zurich, qui lui confièrent les plus importantes affaires de leur canton. Calvin lui-même, qui venait d’exiler Bolsec et qui allait brûler Servet, se prit pour lui d’une affection extrêmement vive. L’amitié de Calvin enhardit Lélio, non-seulement à exprimer ses opinions dans plusieurs conférences religieuses, mais à les professer publiquement dans deux livres, la Paraphrase du premier chapitre de saint Jean, où il exposa sa doctrine contre la trinité, et le Dialogue entre Calvin et le Vatican, où il réfuta le fameux écrit de Calvin sur le droit que s’attribuait le terrible hérésiarque de mettre à mort quiconque se séparait de sa communion. Ces deux livres convertirent aux idées de l’assemblée de Vicence les trois hommes qui, avant l’époque où Faustus en devint le premier apôtre, les ont le plus propagées dans le nord de l’Europe, le cordelier Lismonin, de Corfou, confesseur de la reine de Pologne Bonne Sforce, le Hongrois André Duditz, le Silésien George Schoman. L’affection de Calvin pour le jeune sec-