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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

dans toutes les querelles où le dogme se trouve engagé. Faites justice, au nom de la raison évidemment impuissante à se l’expliquer, de cette mission prophétique à laquelle ils réduisent toute la religion de Jésus, et dites-nous en quoi leur doctrine diffère du déisme de Rousseau et de l’Encyclopédie ! Ce n’est point avec ce déisme que le Christ eût opéré l’œuvre immense de la régénération. L’idée capitale du christianisme eut pour conséquence immédiate, non-seulement de dissiper les ténèbres où s’évanouissait le dogme de l’unité de Dieu, mais de restaurer le dogme même de l’intervention divine, le dogme de la Providence dans l’univers visible, et, par suite, toutes les lois qui dérivent des rapports entre Dieu et les hommes, lois métaphysiques, morales, politiques, en vertu desquelles se reconstituèrent les sociétés aux temps les plus mauvais de la décadence romaine. Ce dogme qui a tout réparé, ce n’est point par le pur déisme qu’il eût prévalu sur les systèmes qui, dans les sociétés anciennes, l’avaient compromis ou ruiné. Cet argument est, à notre avis, le meilleur que l’on puisse faire valoir en faveur de la synthèse chrétienne. Jésus avait proclamé une idée de Dieu suivant laquelle se reconstruisait tout un monde croulant. Que serait devenu ce monde si Sabellius, Arius, Théodore de Mopsueste, Nestorius, etc., avaient triomphé ? Qui donc, au milieu des plus complètes révolutions que l’espèce humaine ait subies, eût reconstitué tout un ensemble de rapports entre Dieu et les hommes, entre les individus, entre les nations ?

Interprète et dépositaire des idées de Vicence, Lélio Socin est le premier qui, au xvie siècle, ait contesté l’originalité du christianisme ; le premier, il l’a représenté comme une des mille sectes qui se sont produites parmi les disciples des rabbins juifs, des rêveurs de l’Inde, des penseurs de la Grèce. S’il faut en croire Lélio, le christianisme primitif se réduisait à la morale essénienne ; le christianisme de la tradition catholique ne s’est définitivement constitué que dans les écoles d’Alexandrie, qui à cette morale ont péniblement allié les dogmes que Pythagore emprunta aux vieilles philosophies de l’Égypte et de la Chaldée. Après avoir soulevé de bruyantes et immortelles polémiques dans les académies naissantes de Samos et d’Athènes, ces dogmes affluèrent plus abondamment encore, par le seul effet des expéditions d’Alexandre, dans cette ville où devaient battre le cœur et la grande artère de l’empire immense rêvé par le conquérant macédonien, et qui, à l’époque où écrivaient les Plotin et les Porphyre, n’avait pas cessé d’unir l’extrême Orient, l’Orient des mages, des dustoors, des brahmanes, à l’Occident grec et romain.

Depuis trois siècles déjà, ces idées sur la formation du christianisme défraient les philosophies qui le déduisent des doctrines et des systèmes de l’antiquité. Ces idées n’ont guère prospéré au xviie siècle, grace aux protestations de Bossuet, qui, pour les combattre, déploya les prodigieuses ressources de son énergie et de son éloquence[1]. Au xviiie, on voulait à toute

  1. Voyez dans ses livres de controverse les passages qui concernent Crellius, le plus fameux socinien de Hollande, et Richard Simon, l’apologiste de Crellius.