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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

simples attributs : c’était restaurer le déisme pur, le déisme grec avec toutes ses incertitudes et toutes ses ténèbres. La question formulée dans ces termes et se compliquant, en outre, des difficultés dont se hérissait l’union en Jésus de la nature divine et de la nature humaine, se débattit long-temps entre les Apollinaire, les Théodore de Mopsueste, les Nestorius, les Eutychès ; les uns et les autres, bien qu’ils aient sondé les profondeurs de l’unité de Dieu, ne sont point encore les ancêtres véritables des sociniens. Les sociniens ont eu pour prédécesseurs, dans les premiers siècles de l’église, les sectaires qui, maintenant rigoureusement l’unité de l’Être suprême, admettaient en même temps son intervention dans le gouvernement de ce monde par un esprit intermédiaire, une créature privilégiée, investie de sa puissance et de sa majesté. Parmi ceux-là se distinguent Cerinthe, Paul de Samosate, Photin et Arius. — Changez le nom de l’agent intermédiaire entre Dieu et les hommes, au Christ substituez le prophète, et le système de Mahomet sera de tout point le même que celui d’Arius et de Photin. Les théologiens ont affirmé que Mahomet avait emprunté ce système aux hérétiques refoulés en Arabie par les persécutions impériales, de Constantin à Héraclius ; mais pourquoi donc ne pas reconnaître que Mahomet s’est borné à exprimer les instincts admirables, les impérissables tendances de cette grande race arabe, qui, à trois reprises, a proclamé l’unité de Dieu dans le monde, une première fois par le judaïsme, une seconde fois par le christianisme, une troisième fois par la doctrine même du Koran ?

On néglige trop peut-être, à l’époque où nous vivons, l’étude des plus vieilles dissidences chrétiennes ; les philosophies actuelles gagneraient infailliblement à fouiller dans la foi et la conscience des premiers jours de notre ère, à réveiller ces querelles lointaines où, suivant les temps et suivant les fortunes, se sont accusées de si nobles et de si énergiques passions. Voyez comme, à travers la confusion des polémiques et en dépit des séditions de la basilique ou de l’hippodrome, se relèvent les fières et mélancoliques figures des penseurs profonds désignés pendant des siècles sous le nom d’hérésiarques à la haine des masses et aux mépris des savans vulgaires ! On a ri souvent de leur insaisissable métaphysique et de leur théologie vétilleuse ; mais pourrait-on citer un seul réformateur qui ait agité de plus hautes questions que les Arius, les Eutychès, les Théodore de Mopsueste ? Dites-nous si, à des époques diverses, une foule d’esprits supérieurs, de Scot Érigène à Faust Socin ou à Bayle, n’ont pas repris leurs doctrines sous différentes formules ? On a prétendu que la passion de la gloire les jetait dans la manie des systèmes : qu’avaient-ils à faire de gloire, ces pauvres moines si convaincus, si désintéressés, si austères ? Qu’avaient-ils à faire de l’auréole autour de leurs fronts pâlis par la méditation et le jeûne ? Il leur importait bien vraiment d’attacher quelques lambeaux de pourpre à la bure de leurs manteaux !

Les fondateurs du socinianisme ont emprunté, nous le répétons, le principe, le fonds même de leur doctrine aux plus grandes et aux plus retentissantes hérésies des premiers temps de notre ère : c’est dans les développemens