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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

leurs sectateurs qui, à force d’élargir leurs prémisses, ne tendaient à rien moins qu’à les dénaturer, ou, pour mieux dire, à les anéantir. Dès le moment où l’université de Wittenberg eut aboli la messe et contesté l’autorité des évêques, Luther, qui avait pris le titre de prédicateur ou d’ecclésiaste, exerça dans l’église allemande la plus formidable puissance spirituelle qu’une révolution religieuse ait placée entre les mains d’un réformateur. Sa prédication véhémente, échauffant les esprits, établit de l’un à l’autre bout de l’Allemagne comme une longue traînée d’enthousiasme qui s’enflammait à ses moindres paroles. « Je n’ai pas eu besoin, s’écriait-il, de mettre le feu à vos monastères, je n’ai pas eu besoin d’en toucher les pierres pour les renverser ; il a suffi pour cela de ma malédiction J’ai, moi seul, fait plus de mal à votre pape que n’en aurait pu faire le plus grand monarque du monde avec les forces de vingt royaumes. » Il écrivait à un prince de la maison de Saxe : « Ne vous riez pas de ma malédiction, car elle n’est pas un vain murmure dans l’air ; je souhaite que votre altesse n’éprouve point à son grand dommage que la foudre de ma parole n’est point aussi vaine que celle de Salmonée. » Le tout-puissant ecclésiaste ne tarda point à être troublé dans les joies de la victoire ; cette foudre dont il menaçait les princes, il se vit contraint de la diriger contre ses plus déterminés disciples, contre ses lieutenans les mieux éprouvés. Tout à côté de lui, dans la ville même de Wittenberg, Carlostadt fonda une doctrine nouvelle, le jour même où les électeurs de Brandebourg et de Saxe, le duc de Lunebourg, le prince d’Anhalt, le landgrave de Hesse, quatorze villes libres d’Allemagne, publiaient la fameuse protestation qui a donné leur nom aux sectes réformées. Chassé de Wittenberg, Carlostadt se réfugia en Suisse, où Zwingle, Bucer, Capito, Œcolampade, avaient pris sa défense ; ses idées repassèrent bientôt en Allemagne, plus hardies et plus opiniâtres. Luther eut beau les combattre avec toute l’énergie de sa colère, les partisans de la réforme se divisèrent en luthériens et en sacramentaires ; par ce nom de sacramentaires, on désignait les disciples de Carlostadt et de Zwingle, qui niaient la présence réelle. On essaya vainement de concilier leurs systèmes ; il n’y eut jamais entre eux qu’une sorte d’alliance politique. Les sectateurs de Luther et de Zwingle s’étant répandus en France, Calvin tria parmi leurs idées les dogmes dont il forma son symbole, et il n’eut pas de peine à effacer dans les contrées méridionales de l’Europe l’éclat de ses deux concurrens. De la vaste réforme opérée à trois reprises par Luther, Zwingle et Calvin, des centaines de sectes naquirent, aussi ennemies les unes des autres que les premiers novateurs pouvaient l’être de l’église romaine. À Wittenberg, à Leipzig, le doux et savant Melancthon enseigna les principaux dogmes du calvinisme, timidement d’abord et sous le manteau, puis ouvertement et à la face même de son maître. Sur d’autres points de l’Allemagne, Flavius Illyricus, André Osiander, Stancar, George Major, Agricola, George Calyxte, fort peu connus aujourd’hui, mais qui, à cette époque, firent à Luther la plus vive opposition et le bravèrent dans les diètes et les synodes, levèrent à leur tour l’étendard de la rébellion. Moins