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LES SOCIN
ET LE SOCINIANISME.

I.DISSIDENCES PROTESTANTES. — LÉLIO SOCIN.
— ASSEMBLÉE DE VICENCE.

Il y a deux cent trente-huit ans environ, au moment où s’annonçaient déjà et s’entrevoyaient les splendeurs du xviie siècle, un vieillard se mourait d’épuisement et presque de misère, en Pologne, au fond du palatinat de Cracovie. Cet homme qui, pour avoir un peu de paix à sa dernière heure, s’était vu contraint d’accepter un asile dans le manoir d’un pauvre gentilhomme, appartenait par sa naissance à la plus fière aristocratie de l’Europe, et par l’élévation du génie, la fermeté du caractère, à l’élite des libres penseurs du xvie siècle. Amis et détracteurs, disciples enthousiastes, persécuteurs infatigables, rien n’avait manqué à sa gloire ; les transports d’admiration et de haine qu’avaient soulevés autour de son nom la hardiesse de ses idées et l’indomptable énergie de son éloquence devaient une fois encore éclater sur sa tombe ; on eût dit que le silence ne se faisait un instant, entre la longue tourmente qui avait enveloppé sa vieillesse et celle où sa mémoire allait sombrer et s’abîmer à demi, que pour redoubler les tristesses de l’isolement où il s’éteignait. Quand ses yeux se furent pour toujours refermés, l’hôte modeste du grand sectaire creusa lui-même une fosse étroite et la recouvrit en pleurant d’une pierre sur laquelle, ne se souvenant plus sans doute que des triomphes du maître qu’il venait de perdre, il grava ces paroles superbes, qui