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UN HOMME SÉRIEUX.

d’une chemise de couleur, d’un pantalon déchiré, d’une paire de bottes trouées et d’un paletot d’hiver qui, quoique montrant la corde, n’avait pas encore assez perdu de sa laine pour convenir à la saison ; sa malle était restée en gage à l’hôtel où il logeait. À la vue de Prosper râpé, mais glorieux comme un mendiant espagnol, M. Chevassu, au lieu d’ouvrir les bras, les croisa sur sa poitrine et adressa une allocution sévère à son fils. Prosper subit cet orage sans sourciller ni répondre ; il savait que le courroux des pères dure peu, et qu’après avoir grondé, ils pardonnent.

— Faites venir un tailleur. Telle fut, après une péroraison véhémente, la débonnaire conclusion de M. Chevassu.

— Mon père, vous serez obéi, répondit l’étudiant en s’inclinant avec gravité.

— Vos déréglemens sont inexcusables, reprit au bout d’un instant le conseiller ; mais ce que je comprends moins encore, c’est la conduite de Mme de Pontailly. Qu’elle vous ait laissé revenir ici avec ces habits de voleur, elle si orgueilleuse, voilà ce qui me passe.

— Ma tante et son mari sont depuis un mois dans leur terre de Normandie ; eussent-ils été d’ailleurs à Paris, je n’aurais pas cru devoir leur exposer mes besoins.

— Pourquoi cela ? demanda M. Chevassu d’un ton sec ; quand on ne craint pas de se mal conduire, on doit savoir s’humilier.

— Devant vous, mon père, oui : c’est mon devoir d’accepter vos réprimandes ainsi que vos bienfaits ; mais il me paraîtrait indigne de vous et de moi de demander un service à des personnes qui ne partagent pas mes opinions, quels que soient d’ailleurs les liens de parenté qui nous unissent.

— À la bonne heure, dit le conseiller d’une voix radoucie ; je vois avec satisfaction que, si votre conduite n’a pas été fort exemplaire, du moins vous êtes resté fidèle aux principes que je vous ai inculqués.

— Fidèle jusqu’à la mort, répondit Prosper en posant dramatiquement la main sur son cœur.

— Bien, fit M. Chevassu, qui, dans cette pantomime emphatique, reconnut son sang.

En parlant de son attachement à ses principes, l’étudiant était resté au-dessous de la vérité. Depuis l’instant où il avait glorieusement débuté dans la carrière politique par le rôle de groom d’élection, son patriotisme s’était accru de jour en jour et avait acquis à la fin une exaltation qui parfois ressemblait à un accès de fièvre chaude. Poussant à leur dernière conséquence les opinions de son