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tandis que plusieurs de ses confrères qui n’avaient pas ses titres étaient nommés d’emblée présidens de chambre, procureurs-généraux, premiers présidens même, ou bien entraient à la cour de cassation ! On se moquait de lui. L’avocat avait accusé la restauration d’injustice, le conseiller accusa le nouveau gouvernement d’ingratitude ; mais il accepta la place, et comme, après tout, elle était inamovible, il se jeta fièrement dans l’opposition.

— Puisqu’on méconnaît mes services, j’arriverai de haute lutte, se dit-il ; quand je me serai fait craindre, on sera bien obligé de compter avec moi.

Dès ce moment, M. Chevassu visa à la députation, cet indispensable viatique de tout homme qui tient à faire son chemin et à ouvrir un compte courant avec le pouvoir. Grace à ses antécédens, il n’eut pas de peine à se faire reconnaître à Douai pour le chef de l’opposition, qui par ses soins se trouva bientôt organisée. L’opinion publique du département était tiède et ne répondait pas à la ferveur des affiliés. Dans une des premières réunions du comité dont le nouveau conseiller s’était institué président, on décréta la création d’un journal politique, infaillible levain au moyen duquel il n’est pâte si molle qui, dans un temps donné, ne fermente et ne s’aigrisse. Les fonds indispensables furent fournis par des souscriptions volontaires. En cette occasion, les meneurs rivalisèrent de dévouement, comme il arrive toujours au début d’une entreprise. Le budget assuré, restait à composer la rédaction. Ainsi que la plupart des villes de province d’une importance secondaire, Douai offrait peu de ressources, malgré ses prétentions au surnom d’Athènes du nord. Quelques jeunes fabricans d’élégies, clercs de notaires pour la plupart, auraient volontiers enlacé à leur couronne de saule pleureur les branches de houx de la critique, et deux ou trois d’entre eux, quoique leur français sentît le voisinage du pays belge, paraissaient aptes à grossoyer le feuilleton. Mais, en tissant au même métier tous leurs talens réunis, on n’aurait jamais obtenu l’étoffe d’un rédacteur en chef. D’un autre côté, la place de M. Chevassu commandait certains ménagemens et ne lui permettait pas de descendre ostensiblement dans l’arène. D’ailleurs, comme presque tous les hommes de barreau, l’ex-avocat avait plus de confiance en sa langue qu’en sa plume ; il eût parlé six heures sans reprendre haleine, mais n’eût pas écrit six lignes sans rature.

— Je dirigerai la rédaction du Patriote Douaisien, disait-il à ses collègues du comité, je serai l’ame du journal ; mais il me faut un