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REVUE DES DEUX MONDES.

— Lieux communs, vous dis-je. Le poète fait des vers comme le tisserand fait de la toile et le bonnetier des bas. Il ne se laisse pas emporter par Pégase, il le conduit où il veut ; si de préférence il le mène boire au noir Achéron, il a tort, et je lui fausserai compagnie. Vous autres jeunes gens, vous êtes incroyables, en vérité, avec votre monomanie de désenchantement et de mélancolie ; comment serez-vous donc à mon âge, si à vingt-cinq ans vous ne savez que rêvasser, pleurnicher et maudire ? Mais revenons à vos vers. La Fête romaine, ah ! enfin, voici un titre qui n’a rien de funèbre. Je suis d’autant plus compétent pour juger ce morceau, qu’en 1817 j’ai passé le carnaval à Rome, et c’était, ma foi, fort gai. Voyons votre fête romaine.

M. de Pontailly rendit à Moréal le manuscrit ; il se renversa ensuite sur son fauteuil, emboîta son menton dans une de ses mains, insinua l’autre dans son gilet, ferma les yeux à demi, prit en un mot une attitude si formidablement attentive, que le jeune poète se sentit troublé, comme s’il eût été en présence de tout un aréopage d’aristarques. Ce fut d’une voix un peu altérée par l’émotion qu’il en commença la lecture. La Fête romaine était le récit d’un martyre de chrétiens sous Néron ; la dent des tigres et la torche des bourreaux jouaient le principal rôle dans cette scène, dont les détails rappelaient le dessin violent et le coloris exagéré de quelques productions de l’école poétique contemporaine.

Après avoir achevé sa lecture, le vicomte adressa à son auditeur un de ces regards modestement sourians par lesquels un auteur se recommande d’ordinaire à la bienveillance de son juge. L’attitude de M. de Pontailly s’était légèrement modifiée ; les bras pendans le long du corps, la tête renversée sur le dos du fauteuil, la bouche entr’ouverte et les yeux clos, il semblait jouir d’un sommeil calme et bienfaisant. À cette vue, Moréal sentit la griffe de cet irritable démon qui passe pour le compagnon des poètes ; par une crispation involontaire, il froissa son manuscrit et le jeta avec dépit sur la table. Le vieillard ouvrit aussitôt les yeux, se redressa brusquement, et regardant le vicomte d’un air moqueur :

— Rassurez-vous, lui dit-il, je ne dors pas, je réfléchis. Oui, je le répète, les jeunes gens d’aujourd’hui sont d’un étrange tempérament. En fait de chant, quand ils ne se lamentent pas, ils rugissent. Vous, par exemple, dans quel guêpier ne venez-vous pas de m’attirer avec votre titre fallacieux ? Et moi qui m’y laisse prendre ! Et vous appelez cela une fête ! Romaine encore ! Pasquino et Marforio, qu’en