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je m’expose à encourir votre indignation ; mais que voulez-vous ? l’œil du frère n’est pas tout-à-fait l’œil de l’amant.

— Pourquoi ne pas me dire tout de suite la vérité ? reprit le vicomte après un instant de silence. Pourquoi ne pas m’avouer que vous avez envie de marier votre sœur à M. André Dornier ?

— Et pourquoi n’en conviendrais-je pas ? dit l’étudiant d’un ton sec ; oui, je désire que ma sœur épouse Dornier. Telle est aussi l’intention de mon père. En un mot, ce mariage est à peu près conclu, et voilà pourquoi il est de mon devoir de lever les obstacles qu’y apporte votre entêtement.

— Il me semble que vous pourriez laisser ce soin à M. Dornier, répondit Moréal, qui articula d’une façon assez dédaigneuse le nom de son rival.

— Je suis sûr qu’il s’en chargerait très volontiers, répliqua Prosper avec vivacité, mais il ne me convient pas de voir ma sœur jouer le rôle de Chimène et devenir le prix du combat ; jusqu’à ce qu’elle soit mariée, il n’appartient qu’à moi d’être son protecteur.

— Contre moi, mon cher Prosper ? Vous n’y pensez pas ! s’écria l’amant en tendant sa main au jeune légiste, qui, après un instant d’hésitation, finit par l’accepter.

— Étreinte fort pathétique, reprit ce dernier au bout d’un instant ; mais trêve d’attendrissement, et concluons. Il y a quinze jours, après l’élection de mon père, et lorsqu’il fut convenu qu’Henriette nous accompagnerait à Paris, vous avez quitté Douai sournoisement afin de venir dresser ici vos batteries. Évidemment, vous allez chercher à vous rapprocher de ma sœur en vous introduisant per fas et nefas dans toutes les maisons de notre connaissance où vous pourrez avoir accès. Le ferez-vous, oui ou non ?

— Je le ferai certainement, autant que cela dépendra de moi. Prosper Chevassu se mordit les lèvres d’un air mécontent.

— Puis-je savoir, dit-il ensuite, s’il entre dans vos projets et dans vos espérances de vous faire présenter chez ma tante ?

— Si Mme de Pontailly consent à me recevoir, je m’empresserai, sans aucun doute, de profiter de cette faveur.

— Faveur que vous avez peut-être déjà sollicitée ?

— Directement, non.

— Indirectement alors ?

— Oui.

— Et comment cette faveur serait-elle refusée à M. le vicomte de Moréal, dont les ancêtres ont figuré aux croisades ? Ma noble tante,