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des cheveux noirs et plats, d’épais sourcils presque joints, des yeux pénétrans et doucereux, composaient un ensemble plus propre à attirer l’attention que la confiance, et offraient je ne sais quelle réminiscence des héros de Butler ou de Pascal.

Après avoir décrit son circuit accoutumé dans une des cours intérieures, la malle-poste revint sur ses pas et s’arrêta devant le bureau des voyageurs. Le personnage dont nous venons de dépeindre la physionomie mi-partie de puritain et de jésuite s’avança aussitôt d’un air d’empressement, et, empiétant sur les fonctions du conducteur, ouvrit une des portières et déploya le marche-pied. Le premier être qui profita de cette action courtoise fut un magnifique épagneul dont l’indiscipline avait mis plus d’une fois à l’épreuve la patience de ses compagnons de voyage. L’ardent animal bondit, d’un seul élan, à dix pieds de distance, et commença une série de gambades frénétiques, comme pour protester contre la longue réclusion qu’il venait de subir. Presque au même instant, un jeune homme coiffé d’une casquette de velours rouge, et couvert d’un surtout à peu près semblable aux cabans que portent les officiers de l’armée d’Afrique, s’élança de la voiture en brandissant un fouet de chasse et criant à tue-tête :

— Ici, Justinien ! Veux-tu te faire voler, misérable ? Ici, bête maudite !

Tandis que le jeune voyageur courait après son chien, que l’aspect de l’instrument de correction semblait avoir changé en lièvre, on vit s’avancer en dehors de la portière une longue figure sérieuse qui, en dépit d’un vulgaire bonnet de soie noire enfoncé jusqu’aux oreilles, ne manquait pas de dignité. Ce chef respectable appartenait à un personnage âgé de cinquante ans environ, grand, maigre et fort vert. La lenteur compassée de ses mouvemens, et l’ampleur un peu théâtrale du geste par lequel il répondit aux démonstrations de l’individu qui avait baissé le marche-pied, annonçaient non moins que l’impassible gravité de son visage un homme instruit de son mérite et disposé à faire partager aux autres la haute opinion qu’il avait de lui-même.

— Bonjour, Dornier, bonjour, mon cher, dit-il en s’aidant pour mettre pied à terre de l’épaule officieuse qui s’offrait sous sa main ; je disais tout à l’heure à Henriette et à cet écervelé de Prosper que, malgré l’heure matinale et le froid, je m’attendais à vous voir assister à notre débarquement.

— Eût-il été deux heures du matin, répondit avec une sorte de