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fonctions par l’assemblée générale de l’église, et ce fut ainsi que s’établit la lutte.

Ces détails nous ont paru indispensables pour bien faire comprendre ce qui s’est passé ces jours derniers, et ce qu’on a pu lire à cet égard dans les journaux. Le parti qui revendiquait la suprématie de la juridiction ecclésiastique prit la dénomination de non-intrusioniste, et il déclara que, si la chambre des lords maintenait comme une loi générale la décision qu’elle venait de porter, il se séparerait de l’état, renoncerait à tous ses bénéfices, et demanderait au zèle volontaire de ses coreligionnaires les secours qu’il ne pourrait plus consciencieusement accepter des patrons. On sait comment s’est accomplie cette séparation. Le 18 mai, les non-intrusionistes se sont retirés solennellement de l’assemblée générale, ayant à leur tête les hommes les plus illustres et les plus respectés de l’Écosse, et ne laissant derrière eux que le squelette d’une église dont ils étaient le souffle et la vie. Depuis l’époque de la réformation et celle de l’union législative, aucun évènement n’avait si profondément remué l’Écosse. Dans ce pays, l’église nationale est essentiellement populaire ; elle l’est par sa constitution, elle l’est par son histoire. C’est le peuple qui l’a fondée ; il l’a vue grandir au milieu du sang, des larmes et des révolutions, et les souscriptions qui abondent de toutes parts pour l’entretien de l’église séparée attestent assez combien le schisme actuel a rencontré de sympathies. Il y a deux siècles, de pareils évènemens auraient engendré des guerres sanglantes ; aujourd’hui ils ne remuent que les esprits. Du reste, on peut déjà apercevoir qu’il y a encore quelques chances de réconciliation. Ainsi, et sur ce point le parti protestant en France semble s’être mépris, les chefs de l’assemblée libre n’ont pas entendu, en se séparant, repousser le principe de l’union de l’église et de l’état. L’homme célèbre qui a guidé le mouvement, le docteur Chalmers, a énergiquement répudié le principe du volontarisme, qui mettrait l’église nationale dans la même condition que les sectes dissidentes, et le discours qu’il a prononcé lors de son installation comme chef de la nouvelle assemblée, semble laisser une porte ouverte aux propositions que voudrait faire le gouvernement. Ce discours a été extrêmement curieux. C’est d’un bout à l’autre une sortie éloquente contre la démagogie, contre le désordre, contre la république dans l’ordre civil. Et cependant le docteur Chalmers est le principal chef d’une église républicaine ; en ce moment-là même, il était le promoteur d’un mouvement essentiellement démocratique. Malgré son influence, malgré ses efforts, malgré son éloquence, il est bien probable qu’il n’arrêtera pas ce mouvement sur sa pente. Dans de pareilles questions, l’équilibre n’est pas possible ; rien n’est absolu comme les doctrines. Or, au fond, c’est véritablement une question de suprématie qui est agitée, la question de l’infaillibilité et de l’irresponsabilité du pouvoir spirituel. Quand l’église libre d’Écosse aura secoué le frein que lui impose encore la grande renommée du docteur Chalmers, elle ira jusqu’au bout de son principe, parce que cela est dans la nature des choses,