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mille nous accompagna jusqu’à l’embarcadère ; j’étais tout attristé. — Je suis fâché de vous avoir connu, dis-je à M. Spadaro, et si j’avais pu prévoir la peine que j’éprouve en vous quittant, jamais je ne serais venu à Tine. Le bonhomme me sauta au cou et m’embrassa les larmes aux yeux. — Vrai cœur de Français ! s’écria-t-il ; un Anglais ne dirait jamais une chose comme celle-là.

Les jeunes filles avaient préparé de petits gâteaux et fait une provision d’oranges dont elles remplirent nos poches. — C’était, nous dirent-elles, pour le voyage. J’aurais de grand cœur embrassé ces jolies pourvoyeuses ; en France, je l’eusse fait sans doute, mais en Orient les usages sont plus sévères ; j’allai même peut-être plus loin que ne le permettaient les convenances en prenant la main de Maria et en la serrant dans les miennes. En cet instant, je songeai que, selon toute probabilité, je ne reverrais jamais cette charmante personne, et mon cœur se gonfla malgré moi. « Là peut-être serait le bonheur, » pensai-je, et mon cœur, qui voulait rester, cherchait à persuader ma raison, qui commandait de partir. Mon compagnon m’entraîna. Déjà le gouverneur était embarqué. Dès que nous fûmes auprès de lui, on largua la grande voile. Le caïque se coucha sous le vent, bondit sur les vagues, et partit comme une flèche. Une minute plus tard, nous n’apercevions plus que des mouchoirs qui s’agitaient sur le rivage. Nous saluâmes d’un dernier regard ce rocher où le hasard nous avait poussés, et nous jetâmes, du fond du cœur, un dernier adieu à ces amis d’un jour que nous ne devions plus revoir.


Alexis de Valon.