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L’ÎLE DE TINE.

époque, M. Spadaro a adressé au ministère plusieurs autres réclamations : il n’a jamais reçu de réponse. Un seul espoir lui restait. M. de Rigny, lorsqu’il était simple capitaine de vaisseau, avait passé plusieurs mois à Tine ; il avait été témoin de la noble conduite de notre agent ; il avait vécu intimement chez lui comme nous-mêmes. Plus tard il devint ministre de la marine. Le second fils de M. Spadaro, voulant embrasser la seule profession qui soit lucrative dans le Levant, était à Paris, où il étudiait la médecine. Il se présenta au ministère en toute confiance, croyant presque retrouver dans le ministre un ancien ami ; mais son excellence reçut avec tant de hauteur le jeune étudiant, que celui-ci n’osa plus jamais lui demander une audience, et le ministre ne promit rien ou fit peu de chose pour son père. Cependant sa mémoire seule pouvait suppléer aux papiers qui manquaient.

Le lendemain, jour fixé pour notre départ, le vent, terrible dans la matinée, se calma vers le milieu du jour. On nous annonça qu’un caïque partirait, et avec lui M. Theoteky, gouverneur de Tine. Nous allâmes faire une visite à ce haut fonctionnaire, qui ne touche pas moins de 200 drachmes d’appointemens par mois, ce qui, honneur à part et pécuniairement parlant, assimile sa position de gouverneur en Grèce à celle d’expéditionnaire, en France, dans une administration quelconque, ou de sous-lieutenant dans l’armée. Le comte Theoteky est un homme plein de distinction ; il nous reçut fort gracieusement, et il fut convenu que nous partirions ensemble. Cette importante affaire décidée, nous revînmes chez nos amis, voulant passer avec eux tout le temps qui nous restait. La famille entière nous attendait ; il y avait de la tristesse sur tous les visages. Mme Spadaro nous fit dire par sa fille que nous avions tort de les quitter, que nous pourrions être heureux chez elle, et que bien volontiers elle nous garderait pendant des années. Je remerciai, dans toute la sincérité de mon cœur, la charmante interprète.

À midi le gouverneur vint. L’embarcation était prête ; toute la fa-

    vement touché. Je m’étais promis de n’épargner aucun effort pour lui être utile ; malheureusement je me suis aperçu que je ne pouvais rien, sinon répéter ici ce qu’il m’a dit. À l’appui de ces explications, les seules preuves qu’il me soit possible d’invoquer sont les noms propres ; je les donne, espérant que ces lignes auront l’honneur de passer sous les yeux de plus puissans que moi, et qu’en rappelant à l’intérêt du gouvernement le nom de Michel Spadaro, elles pourront servir à lui faire rendre justice.